Chalamov vu par les Moscovites. De Memorial au boulevard Gogol

Luba JurgensonSorbonne Université / Eur'ORBEM
Paru le : 14.01.2017

Publié dans le n° 1 de Mémoires en jeu, septembre 2016, p. 15-17.

Deux expositions sont actuellement consacrées à Varlam Chalamov à Moscou, l’une dans les locaux de l’association Memorial, l’autre en plein air, sur le boulevard Gogol au centre de la ville. La première, « Vivre ou écrire », créée par les universitaires Wilfried F. Schoeller et Christina Links, est la réplique exacte de « Leben oder Schreiben – Der Erzähler Warlam Schalamow » qui, après la Literaturhaus de Berlin (26/9/2013 – 8/12/2013), avait fait la tournée des villes allemandes, puis avait été accueillie à Kiev, à Minsk et, sous forme d’affiches, à Saint-Pétersbourg. Imaginée au sein d’une structure en bois carrée rappelant les châlits du camp (cf. vidéo sur https://www.youtube.com/watch?v=5JRSLKu8Mpg sur sa reconstruction à Moscou) et présentée par les designers Constanza Puglisi et Florian Wenz, elle figure, à travers un espace saturé, l’exiguïté des lieux physiques et mentaux où se déroula la vie de Chalamov et où il disait avoir toujours étouffé (de la maison familiale à Vologda qui, réduite après la révolution, ne lui offrait plus qu’un coffre en guise de lit, jusqu’aux baraquements accueillie à Kiev, à Minsk et, sous forme d’affiches, à Saint-Pétersbourg. Imaginée au sein d’une structure en boiscarrée rappelant les châlits du camp (cf. vidéo sur https://www.youtube.com/watch?v=5JRSLKu8Mpg sur sa reconstruction à Moscou) et présentée par les designers Constanza Puglisi et Florian Wenz, elle figure, à travers un espace saturé, l’exiguïté des lieux physiques et mentaux où se déroula la vie de Chalamov et où il disait avoir toujours étouffé (de la maison familiale à Vologda qui, réduite après la révolution, ne lui offrait plus qu’un coffre en guise de lit, jusqu’aux baraquements pour la restitution du contexte. Les concepteurs de l’exposition optèrent pour une scénographie plutôt suggestive qu’immersive de la terreur stalinienne et des camps, servie par un « fond » visuel nourri d’images de la Kolyma ou confrontant des matériaux de propagande, tels des albums photographiques issus des archives du NKVD, avec des citations tirées des récits Récits de la Kolyma. Le contexte est également évoqué à travers l’insertion, parmi les jalons de la vie de Chalamov, de documents d’archives tels qu’une photographie de groupe datant de la seconde moitié des années 1930 où plusieurs visages appartenant sans doute à des personnes arrêtées se trouvent recouverts d’encre verte ou violette ou encore un dessin représentant le Kremlin, envoyé par une enfant de 5 ans à sa mère détenue dans un camp près d’Arkhangelsk. Dans ce dernier cas, les scénographes ont enfreint l’impératif de s’en tenir aux représentations de la Kolyma, cherchant à documenter, à travers un dispositif extrêmement dense, l’impact du système concentrationnaire au-delà des camps eux-mêmes, sur les familles des détenus, ainsi que son omniprésence suggérée également par une carte du Goulag qui accueille le visiteur à l’entrée.

Il faut dire qu’à la Literaturhaus de Berlin, le spectateur, avant d’accéder à la salle Chalamov, passait par un espace vide (à l’exception de quelques chaises), tapissé d’écrans qui montraient des photographies de la Kolyma. Que cette vastitude soit, à Moscou, réduite à une « toile de fond » et intégrée à la mise en scène de l’enfermement, que la nature soit muselée par l’exiguïté du lieu – apparaissant ainsi elle-même comme claustrogène –, d’une certaine façon, rend mieux compte de la spécificité des camps du Goulag en privant le spectateur de ce recul et de ce confort psychologique dont il disposait à Berlin.

L’agencement tout en angles droits des planches et des poutres semble métaphoriser la construction d’un savoir rationnel, une structure heuristique. Cependant, elles découpent le champ visuel en segments et, de quel côté du dispositif que l’on se place, on n’a qu’une vue partielle de cette composition ternaire stratifiée qui s’élève des artefacts (en bas, dans les vitrines) vers les représentations photographiques ou œuvres d’artistes, elles-mêmes surmontées de panneau explicatifs (niveau métadiscursif). L’impossibilité d’embrasser du regard le tableau d’ensemble et la nécessité pour le spectateur de s’approcher de chaque expôt pour accéder à des bribes du réel concentrationnaire nuancent plus qu’elles ne contredisent la « transparence » du dispositif qui cache son objet autant qu’il le révèle et permet d’accéder, bien qu’implicitement, à la complexe dialectique du visible et de l’invisible, propos récurrent des récits de Chalamov. Rappelons que les artefacts les plus impressionnants (objets prêtés par le musée Mémoire de la Kolyma d’Ivan Panikarov), se trouvent disposés au milieu de la structure, sur les planches que l’on voit à travers des « fenêtres » occupées par d’autres objets : le spectateur ne saurait donc entrer en contact avec le vécu du camp que par la médiation d’un métadiscours scénographique assumé.

Quant aux œuvres d’art, elles n’ont pas été choisies uniquement dans le corpus goulaguien ni celui provenant de l’entourage de Chalamov : des portraits de l’écrivain réalisés spécialement par l’artiste moscovite Nikolaï Nassedkine occupent le haut de l’espace visuel ; elles sont inspirées d’images réalisées par des agents du KGB après son retour à Moscou (montrées au niveau intermédiaire de la structure). Et, au centre du dispositif, faisant face aux artefacts de la Kolyma, des bronzes d’Andreï Krassouline crées en hommage à Mandelstam mort au camp de transit de Vladivostok, ce camp par lequel Chalamov passa également et qu’il met en scène dans son texte cénotaphe « Cherry-Brandy ».

 

L’exposition initiale (dont on peut effectuer la visite virtuelle sur https://www.youtube.com/watch?v=Jri3PMtU4Pc) a bénéficié du soutien de la fondation culturelle fédérale (Kulturstiftung des Bundes) allemande, la Fondation de loterie allemande (Stiftung Deutsche Klassenlotterie), la fondation S. Fischer, la fondation Mikhaïl Prokhorov.