La Rose blanche contre la barbarie. La résistance civile en scène

David VerdierRes Musica
Paru le : 14.01.2017

Publié dans le n° 1 de Mémoires en jeu, septembre 2016, p. 10.

Un mur de béton maculé de taches d’humidité, un sol de terre battue parsemée de cailloux et cet éclairage blafard qui saisit en oblique les deux protagonistes avec deux chaises comme seuls accessoires : voilà ce que le spectateur découvre en pénétrant dans la grande salle de la Manufacture de Nancy qui accueille cette Rose Blanche d’Udo Zimmermann.

Donnée à l’Opéra d’Angers-Nantes en 2013 avec les mêmes Elizabeth Bailey et Armando Noguera dans les rôles de Hans et Sophie Scholl, la production est placée sous la baguette talentueuse de Nicolas Farine à la tête de l’orchestre symphonique et lyrique de Nancy. Le livret de Wolfgang Willaschek évoque avec un réalisme très cru le destin malheureux des deux héros de la résistance intérieure allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Hans et Sophie Scholl avaient créé avec l’aide d’amis étudiants et professeurs, le réseau de la « Rose blanche », pour protester contre la brutalité aveugle du régime nazi. Dénoncés et arrêtés par la Gestapo le 18 février 1943, ils seront exécutés après trois jours de torture et un jugement expéditif. Enrôlés de force dans les jeunesses hitlériennes, ils opposèrent à la barbarie les valeurs d’humanisme et de liberté en multipliant entre juin 1942 et février 1943 des distributions de tracts et des inscriptions tracées sur les murs de l’université. Puisant leurs arguments dans Goethe et Novalis, ils surent au péril de leur vie se dresser contre l’injustice d’un régime faisant de la privation de liberté le moyen de réprimer les tentatives de rébellion.

D’une brièveté glaçante et redoutable, l’opéra retrace les derniers moments des deux martyrs, emprisonnés dans leur geôle. À la fois anti-dramatique dans le mouvement narratif et profondément tragique par le sujet, l’action se déroule à partir des répliques qu’échangent le frère et la sœur destinés à la mort. Ce tableau rétrospectif et psychologique suit une sorte de chemin de croix méditatif en 16 tableaux, encadrés par un fil musical acéré et contondant. L’écriture volontiers mélodique fait surgir des thèmes obsessionnels qui rythment le temps musical en soulignant le caractère inéluctable des éléments narratifs. La conclusion s’élève en un kaléidoscope dynamique, mêlant les voix aux cris d’une foule qu’on imagine révoltée contre l’injustice.

Sollicitée dans les déchirures du registre aigu, la voix d’Elizabeth Bailey se débat en vain, pour échapper, dirait-on, à des tortionnaires invisibles, symbolisés dans la mise en scène de Stephan Grögler par ces éclairages obliques et intrusifs qui cisaillent l’espace comme on entrouvre un judas pour surveiller l’intérieur d’une cellule. Armando Noguera déploie un excellent jeu scénique pour souligner une émission remarquablement calibrée, parfait complément au drame et à l’angoisse du personnage.

Comme flottant au-dessus de la scène, l’orchestre n’apparaît qu’au détour d’un jeu d’éclairage à la surface du rideau de fond. La présence quasi-fantomatique de l’effectif instrumental rehausse le caractère funèbre de cette intrigue sans retour.

Nancy. Théâtre de la Manufacture. 20 mai 2016. Udo Zimmermann (né en 1943) : La Rose Blanche, Opéra de chambre en 16 tableaux créé au Conservatoire de Dresde, sur un livret de Ingo Zimmermann, le 17 Juin 1967. Version révisée créée à l’Opéra d’État de Hambourg, sur un livret de Wolfgang Willaschek, le 27 février 1986. Mise en scène : Stephan Grögler.