Cet article sera accessible dans son intégralité le 30 août 2025
Les massacres du 7 octobre 2023 et leurs suites ont créé une scène sur laquelle notre regard comme notre conscience sont obsessivement centrés et recentrés sur les violences en série qui s’y démultiplient, qui captent notre attention et la capturent. En même temps qu’au malheur du monde plongé dans l’acide du ressentiment et de la haine, nous sommes immergés par les médias dans la brutalisation en représentation de nos propres sociétés, considérées encore en paix, passant aussi bien par les mots que par les actes. C’est toute la capacité de la pensée à prendre une distance objectivante qui se rétrécit tant l’on est sommés de réagir dans une urgence polémique, non pas critique, qui nous requiert. C’est pourquoi je voudrais rappeler cette méthode simple, que j’élèverais volontiers en principe éthique, consistant à se défocaliser de ce qui nous obsède pour tenter de mieux en discerner les conditions et les enjeux. Prendre le temps en revenant sur les mêmes lieux, vingt-cinq ans auparavant. Pour cela, il faut passer par un autre regard – ici, ce sera celui de la remarquable documentariste qu’est Nurith Aviv – pour adopter une autre manière de voir avec son documentaire visionnaire Makom, Avoda sorti sur les écrans en 1998[1].
Makom, Avoda, en français un lieu, un travail, part d’un fait divers touchant les travailleurs d’une ferme collective, moshav[2] en hébreu. Ce n’est ni un kibboutz – entité mythique du récit fondateur sioniste –, ni une de ces dénommées « colonie » – qui scelle malheureusement le destin colonial de l’expansion d’Israël hors de ses limites légales. Il s’agit d’un des premiers documentaires de la réalisatrice, aujourd’hui plus reconnue pour son œuvre sur les usages de la langue et de la culture juives. Pourtant la question de la langue et de la communication, va-t-on voir, apparaît en une cohérente contiguïté avec la domination propre au rapport à l’autre, doublé de ce qu’une analyse marxiste aurait qualifié de rapport de classe et de subalternité.
[1] Ce texte est une réécriture de mon article « Un regard du cinéma israélien sur Israël, Makom, Avoda de Nurith Aviv », paru dans la revue Mouvements, n° 7, janvier-février 2000, p. 96-102.
[2] Le moshav (pluriel : moshavim) est une exploitation agricole de type coopérative ; il en existe plusieurs types, de la forme individuelle, privée, sur un lopin de terre à l’exploitation proche du regroupement kibboutzique.