Rouge : le passé d’un avenir au Grand Palais

Luba JurgensonSorbonne Université / Eur'ORBEM
Paru le : 07.01.2020

Rouge, mais jusqu’où, jusqu’à quand ? Un rouge tout en ruptures, en continuités aussi, l’exposition mettant la focale sur les éléments modernistes assimilés par le réalisme socialiste ; montrant, à qui veut la voir, la façon dont les transgressions des années 1920 préparent la reddition des années trente. Combattre le cliché d’une fin brutale de la recherche artistique, c’est en dénoncer un autre, celui de la liberté totale de la première décennie postrévolutionnaire. Or, les cartels insistent sur la diversité des expériences formelles et restent souvent discrets sur les accommodements précoces et le rôle du pouvoir dans les débats. L’uniformisation, en effet, se préparait en amont : des groupes artistiques – productivistes, constructivistes, factographes –, en lice pour l’hégémonie, cherchaient des formes adéquates à la réalité révolutionnaire dans un contexte où l’État était le juge suprême. L’exposition interroge ces hybridités, tout comme des parallèles avec les arts occidentaux, mais laisse de côté la période d’isolationnisme soviétique de 1940-1950, marquée en Occident par un retour des avant-gardes et, en URSS, par le triomphe de l’académisme. La guerre est pratiquement absente de l’exposition et l’on passe rapidement sur l’après-guerre, résumé avec la célébration du 70e anniversaire de Staline. La scénographie privilégie la phase d’élaboration du canon plutôt que celle de son épanouissement. C’est pourtant cette dernière qui permet d’observer une expérience unique d’esthétisation totale de la vie de l’État, premier producteur, commanditaire et consommateur d’illusions mimétiques. Ce chaînon manquant, qui nous laisse dans la fascination du temps des constructions nous fait justement manquer le désastre sur le long terme, le quotidien de l’homme soviétique façonné par des simulacres qui ne sont pas les à-côtés de la vie mais bien la scène où cette vie se déroule, théâtre du bonheur indispensable au bon fonctionnement des machineries de la terreur.