Public History. A texbook of Practice

Rémy BessonCRILCQ (Université de Montréal), IHTP, CRIalt
Paru le : 10.07.2017

Thomas Cauvin

New York, Routledge, 2016, 282 p.

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Public History est un manuel à destination des étudiants en histoire qui est orienté vers la maîtrise de compétences professionnelles s’exerçant en dehors de l’université. Il y est question de l’identification de sources pertinentes pour une exposition, de la mise en série de documents archivés pour la réalisation d’un film ou encore de la maîtrise de langages informatiques nécessaires à la conception d’un site web. Le rôle de l’historien dans la cité est alors moins envisagé comme celui d’un sage qui prend position depuis sa chaire, que comme un acteur parmi d’autres de la fabrique de représentations tout à la fois culturelles, sociales et politiques portants sur le passé. Il est ainsi moins figuré comme un intellectuel pris au cœur de débats historiographiques, que comme étant aux prises avec des limitations légales, des décisions techniques, des arbitrages politiques, des contraintes économiques, des demandes politiques et des exigences de résultats concrets. L’historien de formation est présenté comme exerçant ses compétences dans le cadre du métier de recherchiste, de documentaliste, d’éditeur, de commissaire d’exposition, d’assistant-réalisateur, d’administrateur d’une structure culturelle, de développeur d’un site web ou encore de médiateur travaillant au sein d’un site patrimonial. À ce titre et par la multiplication de cas d’études principalement nord-américains, l’ouvrage désorientera peut-être les lecteurs européens. Ce choix est cependant tout à fait cohérent avec la définition du domaine de la Public History adoptée par Thomas Cauvin. Celui-ci rappelle, en effet, qu’aux États-Unis cette perspective a émergé durant les années 1970, au moment où une crise de l’emploi dans les universités a conduit à repenser les débouchés professionnels des étudiants en sciences humaines (p. 8). Des domaines d’activité non académiques ont alors commencé à être considérés comme dignes d’intérêt au sein des départements d’histoire. Pour résumer à grands traits, si l’université n’était alors plus à même d’être l’horizon d’attente indépassable pour l’insertion des jeunes historiens, ceux-ci devaient être formés aux métiers liés au patrimoine, aux médias, aux musées et à l’édition. La Public History est ainsi, en quelque sorte, le symptôme ainsi que l’agent d’une tentative de (ré) appropriation par l’académie d’un ensemble de domaines économiques ayant pour objet la représentation du passé, qui se sont développés sans le concours actif des historiens universitaires.

Les deux principales parties de l’ouvrage s’inscrivent dans la continuité de ce constat. Il ne s’agit ainsi pas d’une présentation diachronique des différents courants de pensée qui composent la Public History, ni d’une tentative de théorisation de tensions épistémologiques (certains aspects éthiques sont cependant présentés dans une courte partie conclusive), mais bien plus d’un essai de cartographie problématisée des institutions, des compétences et des métiers du domaine. Les premiers chapitres portent ainsi sur le rôle des historiens dans la gestion des collections muséales et dans la préservation des archives. Tout l’intérêt revient alors à montrer en quoi les connaissances et les méthodes des historiens sont complémentaires vis-à-vis de celles des archivistes et des autres acteurs des domaines culturel et patrimonial. Il n’est alors pas question d’aborder de nouvelles compétences que l’historien pourrait acquérir afin de s’insérer professionnellement, mais de démontrer en quoi les méthodes acquises sur les bancs de l’université sont mobilisables en dehors de celle-ci. L’accent est notamment mis sur la capacité des historiens à contextualiser les informations et à réinscrire  les usages sociaux de l’histoire dans le temps long de pratiques et normes héritées du passé. Les chapitres suivants abordent eux le rôle de l’historien comme acteur de divers types de mises en récit du passé. Il est alors question de la réalisation de films, de la conception d’expositions, de la rédaction d’ouvrages grand public, de créations radiophoniques, d’émissions télévisées ou encore de mises en ligne de visualisations du passé. L’historien est non seulement présenté comme un conseiller sollicité ponctuellement, mais aussi comme un assistant qui peut suivre l’ensemble d’un processus de création ou comme un porteur de projet qui va adapter son discours en fonction du public visé. S’il est possible de regretter que certains passages ne soient pas suffisamment critiques vis-à-vis des pratiques décrites1, la façon dont la notion de public est problématisée constitue l’intérêt principal de l’ouvrage. En effet, au-delà de la dimension stratégique susmentionnée (réponse à une crise de l’emploi), l’auteur insiste particulièrement sur la présence du passé dans nos sociétés contemporaines. Le principe est ici que le terme de Public renvoie moins au fait de « rendre public » un discours, qu’au rôle des usagers des diverses productions culturelles portant sur le passé. Ce sont ainsi les individus qui se saisissent du passé (et non plus le récit portant sur le passé en tant que tel) qui sont considérés par l’auteur. Le champ d’études est articulé avec la volonté propre à l’histoire orale d’entrer en dialogue avec des acteurs de l’histoire, à la dimension politique de l’histoire sociale des minorités et à la manière dont les pratiques amateurs font usage du passé pour faire groupe. À titre de contre-exemple, Cauvin explique qu’un projet en humanité numérique (Digital History dans ce cas) qui débouche sur la création d’un site web accessible à tous peut très bien ne pas relever du domaine de la Public History (p. 177). Le critère discriminant n’est ainsi pas tant celui de l’accessibilité potentielle, mais le fait que le rôle du public a été pensé comme étant constitutif du projet. Prenons un autre cas. Au sujet de l’édition, l’auteur explique que ce n’est pas une volonté de vulgariser un travail préalablement conçu par un historien qui va constituer un critère d’inclusion ; il s’agit plutôt du fait que l’ouvrage aura été conçu dès le départ pour un public qui n’est pas principalement composé d’universitaires. La Public History est alors pensée comme une réponse à l’hyperspécialisation des recherches académiques, qui tend parfois au fait que seuls les universitaires sont capables de comprendre les contenus publiés de leurs paires. De même, dans le domaine de la muséographie, l’historien n’est ainsi pas présenté comme étant celui qui saura avant tout transmettre au plus grand nombre un état des connaissances les plus actuelles, mais comme étant celui qui, ayant constaté  les usages du passé des visiteurs, saura créer des contenus adaptés à leurs attentes réelles. Mais bien plus que sur un public perçu comme un groupe homogène (le singulier du terme Public est ici trompeur) qui reçoit un contenu adapté à ses usages, Cauvin insiste sur le rôle des usagers comme coproducteurs des connaissances. Les projets collaboratifs sont alors particulièrement analysés dans l’ouvrage. L’auteur mentionne ainsi des exemples de redocumentarisation de fonds de photographies par des internautes, aussi bien que la reconstitution de batailles ou de bâtiments par des amateurs. La fonction de l’historien se rapproche ainsi de celle du médiateur, tout en préservant certaines spécificités liées à ses capacités à valider et à contextualiser les informations et documents partagés.

La notion de « spécificité » propre à l’exercice du métier d’historien n’est jamais débattue frontalement, ni peut-être suffisamment problématisée, elle est cependant partout présente en filigrane. L’historien travaillant en dehors de l’université est sans cesse présenté comme celui qui apporte un plus à des pratiques professionnelles existantes dans lesquelles il semble que tout puisse fonctionner sans sa présence. Un film ou une exposition, une émission de télévision ou un site web portant sur le passé peuvent, en effet, très bien être conçus sans faire appel à un historien (ou en cantonnant celui-ci au rôle d’expert qui vient valider la véracité des faits présentés, ce qui revient peu ou prou au même). Par contre, chapitre après chapitre, c’est-à-dire milieu professionnel après milieu professionnel, Cauvin démontre en quoi l’historien à un rôle à jouer dans la préservation et la diffusion des connaissances portant sur le passé telles qu’elles sont conçues en dehors de l’université. Si quelques parties sont moins abouties, comme celle portant sur le cinéma documentaire et de fiction2, et que quelques oublis sont discutables (l’articulation entre histoire et journalisme semble notamment rester taboue3), l’auteur dresse au fil des pages un panorama de ces pratiques historiennes non académiques qui est particulièrement impressionnant. Il en ressort que l’historien peut, dans chacun de ces milieux professionnels parfois très différents, apporter quelque chose de spécifique. Il ne se substitue jamais aux professionnels déjà en place, mais il est toujours en mesure d’apporter des gains d’intelligibilité qui sont utiles aux publics. L’ouvrage permet ainsi de comprendre en quoi ses compétences sont liées à des métiers précis qu’il est en mesure d’exercer en dehors de l’université afin d’avoir une influence renouvelée sur l’écriture de l’histoire dans l’espace public.

1 À titre d’exemple, on aurait souhaité que la présentation de la notion d’interactivité dans le domaine muséal soit moins considérée comme quelque chose d’unilatéralement positif car elle permet l’inclusion du visiteur (p. 144-145) et davantage présentée de manière critique, c’est-à-dire aussi à titre de mot valise mobilisé au sein de discours relevant bien souvent plus de la communication institutionnelle que de la recherche en histoire.

2 Celle-ci fait à peine cinq pages et semble principalement basée sur une référence – le par ailleurs très intéressant dossier « History, Historians, and Cinematic Media » (The Public History, 2003) – alors qu’un développement plus long et des références bien plus diversifiées auraient pu être mobilisées.

3 En effet, si la presse magazine spécialisée est mentionnée, le rôle des historiens comme éditorialistes, auteurs ou journalistes dans la presse généraliste, qu’elle soit mensuelle ou quotidienne, nationale ou régionale, papier ou en ligne, n’est pas abordé.

Publié dans Mémoires en jeu, n° 2, décembre 2016, p. 116-118.