Nostalgie

Katharina NiemeyerMCF à l'Institut Français de Presse/CARISM Université Paris 2/ Sorbonne Universités
Paru le : 20.04.2016

La nostalgie est fortement reliée au concept de mémoire dans la mesure où elle rappelle les temps et lieux qui ne sont plus, ne sont plus accessibles ou ne l’ont jamais été. Elle désigne également le désir de retourner à une époque passée que nous n’avons pas vécue ou encore le regret d’un passé qui n’a jamais été, mais qui aurait pu être. La nostalgie peut être considérée comme essentielle à la sauvegarde des identités (Wilson 2005) tout comme elle peut renvoyer à l’amnésie sociale (Doane & Hodges 1987). Par conséquent, la nostalgie entretient un lien spécifique et ambigu avec les études de la mémoire (Atia & David, 2010), allant du mal du pays aux enjeux de marketing (Kessous et Roux, 2012, Goulding, 2001), de la politique (Lasch, 1984) à la nostalgie créative et à l’activité de ‘nostalgier’ (Niemeyer, 2014).

 

La nostalgie a été longtemps associée à une construction occidentale, postcoloniale et régressive de la modernité, mais les recherches sociologiques et anthropologiques de ces dernières années soulignent le caractère universel de ce sentiment (Bonnet, 2016). Pour Svetlana Boym (2001), la nostalgie est un compagnon traditionnel du progrès, ce qui pourrait expliquer l’explosion récente des expressions nostalgiques dans les discours médiatiques, politiques, dans les productions cinématographiques ou télévisuelles ou encore dans les réseaux sociaux en ligne. A l’heure actuelle, ce constat devrait donc se référer aux dernières évolutions en matière de technologies d’information et de communication mais également aux usages en augmentation de médias sociaux qui pourraient activer une sorte de « nostalgie pour le réel » (Baudrillard 1981). Souvent, le progrès s’accompagne de différentes sortes de crises qui affectent les structures économiques et sociales mais, comme le souligne Boyer (2013), il s’agit notamment d’une crise du temps, des temporalités. En ce sens, les expressions nostalgiques ou la création de mondes nostalgiques indiquent un phénomène double : une réaction (souvent créative) face aux nouvelles technologies, par ailleurs utilisées (les filtres sur Instagram, par exemple), avec le souhait de ralentir et ou d’échapper à la crise dans un état de Wanderlust (désir de partir, de voyager) ou encore une nostalgie qui pourrait être « guérie » ou « encouragée » par les usages et la consommation des médias. Comment comprendre cette double facette ?

 

Néologisme médical signifiant le mal du pays (de l’allemand Heimweh), le terme apparaît pour la première fois dans une thèse de médecine écrite par Johannes Hofer (à Bâle, en Suisse, en 1688). L’étymologie grecque renvoie à nostos (retourner à la maison) et algia (longing = désirer/Sehnsucht). Hofer désigne par « nostalgie » une maladie fréquente dans l’armée suisse. Au début du 18eme siècle, le mal du pays des soldats, en commençant avec le cas suisse, touche à la question de la discipline militaire (Bolzinger, 2007). Plus tard, en 1793, la nostalgie commence à être considérée comme un problème de santé de masse au sein de l’armée. À la fin du 19eme siècle et avant de quitter le discours médical, elle devient une excuse pour se dérober au service. Ses symptômes varient. Le malade ne peut ni manger ni boire, a de la fièvre et présente les symptômes d’une gastrite. Des hallucinations et la schizophrénie ont également été mises en lien avec le mal du pays. La plupart du temps la nostalgie était mortelle, mais elle se laissait également guérir à condition de retourner à la maison ou d’avoir la promesse d’y retourner, recevoir la visite de membres de la famille ou d’une personne ayant le même accent, écouter de la musique évoquant images et souvenirs de la patrie. Cette première signification de la nostalgie a quitté le discours médical au début du 20ème siècle (Bolzinger, 2007), mais elle existe toujours.

 

Cependant, le rôle plutôt « aigre » de la nostalgie ainsi que son caractère régressif est aujourd’hui fortement remis en question. Des études psychosociales (Arndt el al. 2006) montrent que la nostalgie est plutôt constructive que destructive. Elle n’est pas uniquement l’expression d’un sentiment, mais suppose un agir et peut potentiellement se transformer en un processus pragmatique de création. La littérature sur la nostalgie se concentrait sur le diagnostic, ce qui laissait la notion dans une situation pétrifiée. Pourtant, elle n’est pas un symptôme qui explique quelque chose, mais une force qui fait quelque chose (Dames, 2010). Depuis quelques années on observe une relecture de la nostalgie dans de nombreuses disciplines allant en ce sens, proposant des perspectives culturelles et sociologiques (Keightley & Pickering 2006), littéraires et philosophiques (Cassin, 2013, Matt 2011), médiatiques (Holdsworth, 2011), ou encore ethnographiques (Nash 2012), mais c’est notamment quelques années après l’arrivée du web 2.0 que de nouveaux travaux paraissent (Bonnett, 2016 ; Lizardi 2015 ; Angé et Berliner, 2014 ; Niemeyer 2014). Pour les études de la mémoire individuelle et des mémoires collectives, ces nouvelles perspectives sur la nostalgie peuvent enrichir la recherche et la réflexion critique non seulement en ce qui concerne le passé, mais également le présent et l’avenir. Des phénomènes migratoires (La Barba, 2014 ; Pistrick, 2012) aux évolutions politiques, productions médiatiques et expressions individuelles de chacun, ces relectures de la nostalgie permettent de mieux comprendre ses multiples facettes. Liée depuis les années 60 aux notions de vintage et plus tard au rétro (Niemeyer, 2015), la nostalgie est aujourd’hui associée aux mémoires individuelles et collectives et fait partie intégrante de la culture de masse et de la société de consommation ; cependant, elle porte aussi en elle sa signification initiale, moins au sens d’un mal du pays amenant à la mort qu’au sens d’une recherche d’identité et d’appartenance à une communauté.