La propagande filmique et le montage

Bruno Vermot-Gauchyprofesseur de lettres et d’études cinématographiques honoraire en CPGE au Lycée Carnot, Cannes
Paru le : 02.02.2021

Bruno Vermot-Gauchy, professeur de lettres et d’études cinématographiques honoraire en CPGE au lycée Carnot, Cannes

Résumé

Dans l’article intitulé « La propagande filmique et ses moyens », publié dans cette même rubrique, nous avons insisté sur la notion de « manipulation », en montrant que cette dernière est nécessaire à la création de toute œuvre cinématographique, et que, dans le cadre de la propagande, cette manipulation se voit doublée de certains moyens, en fonction du « point de vue » qu’elle traduit et qu’elle veut faire adopter au spectateur. Ce qui pose le problème de l’« éthique » de tout plan que l’on montre et que l’on monte. Dans cet article, on donnera quelques indications sur la notion générale de montage et sur quelques types de montages appropriés à la propagande, et cela, afin de préparer l’analyse d’extraits de films de propagande (soviétique/nazi/américain). D’une manière générale, on se propose ici de donner aux élèves et aux enseignants quelques outils pour une étude filmique. Comme l’a dit Béla Balázs : « […] le montage permet non seulement de composer, mais aussi de recomposer et de falsifier beaucoup mieux qu’avec tout autre moyen d’expression. » (Le Cinéma, nature et évolution d’un art nouveau, 1948, éd. Payot, coll. Petite Bibliothèque Payot, 2011, p.136).

Mots-clefs : éthique – film – manipulation – montage – propagande

Disciplines : Lettres – Histoire – Cinéma – Arts plastiques – Philosophie

Niveaux de classe concernés : lycée – études supérieures


La notion de montage

Jean-Pierre Dubois, professeur de cinéma au lycée du Parc Impérial de Nice, résumait ainsi la notion de montage : « Un film ne se tourne pas selon l’ordre chronologique de la narration : les images et les sons enregistrés pendant le tournage se présentent sous la forme de fragments isolés et disparates. L’opération qui consiste à remettre les plans dans l’ordre prévu originairement par le découpage est le montage. » On peut nuancer cette dernière phrase en rappelant que le découpage initial n’est pas toujours suivi, et même, qu’il n’existe pas toujours : le film se construit alors totalement au montage.

On peut ajouter, en citant le critique et historien du cinéma Marcel Martin, auteur du Langage cinématographique (éd. du Cerf, 1955) : « Le montage est l’organisation des plans d’un film dans certaines conditions d’ordre et de durée. » Cette citation bien connue nécessite néanmoins quelques précisions, dans la mesure où elle est très générale, peut-être trop. En apparence, cette définition frôle la tautologie ; en réalité, elle repose sur un « minimum » acceptable par tous. L’« organisation » marque la recherche d’une logique qui corresponde à la volonté du réalisateur et peut-être à la compréhension du spectateur. L’« ordre », si l’on se réfère à l’origine latine du mot, suppose, outre le classement, un « rangement » logique, et vient compléter la notion d’ « organisation ». Quant à la « durée », elle est l’essence même de l’art cinématographique, qui repose sur le temps plus que sur le mouvement – et, par voie de conséquence, cette durée débouche sur la notion de « rythme ».

En revanche, la citation se restreint à une vision matérielle, technique du montage – sauf si l’on examine le mot « conditions », qui suppose des règles, qu’elles soient intrinsèques au film ou qu’elles émanent d’une conception plus vaste du montage. Il faut alors élargir la réflexion : le montage n’est pas une donnée en soi, immédiate et intangible, mais liée, volontairement ou non, à une véritable vision du monde : le montage hollywoodien et le montage soviétique des années vingt traduisent chacun une conception qui n’est pas seulement politique. Le cinéma, en particulier par le montage, est véhicule de « valeurs » : le cinéma hollywoodien, qui vise à fasciner le spectateur, est celui de l’American way of life, et de la société de consommation – le cinéma soviétique des années vingt est celui de la construction de la société socialiste. La propagande est donc partout, au sens noble comme au sens péjoratif, de manière consciente ou inconsciente.

On ne reviendra pas ici sur la question de la vision « morale » qui sous-tend le cinéma, elle est amplement traitée dans l’étude d’Anne Faurie-Herbert sur Le Fils de Saul que l’on peut lire dans cette même rubrique.

Retenons simplement que l’acte du monteur et du réalisateur – qui peuvent être la même personne – de sélectionner des prises suppose un choix, et que, par ce choix, il devient un acte « créateur », qui met en place trois éléments fondamentaux : la syntaxe du film, la production du sens due à la juxtaposition des plans, le rythme.

La syntaxe du film

L’agencement des plans tient à leurs relations formelles, aux divers effets de liaison (raccords sur le regard, le geste, le mouvement des acteurs ou de la caméra), à la ponctuation (fondus au noir, fondus enchaînés…), aux effets de linéarité ou d’alternance de séquences… Nous n’entrerons pas dans les détails, ils nous emmèneraient trop loin, et ils seront signalés de manière concrète dans nos analyses à venir.

La production de sens due à la juxtaposition des plans

Il convient ici de revenir sur une notion fondamentale, celle de « l’effet-K », de Lev Vladimirovitch Koulechov (cinéaste soviétique, 1899-1970). Sans doute avec le concours de son élève Vsevolod Poudovkine, Lev Koulechov entreprit vers 1921 son expérience de montage la plus célèbre, connue sous des noms divers : « expérience Mosjoukine » (du nom de l’interprète qui y participa involontairement), « effet Koulechov » ou encore « effet-K ». Koulechov emprunta à un film trois gros plans du célèbre acteur russe Ivan Mosjoukine, plans neutres où il n’exprimait aucun sentiment. Il juxtaposa chacun de ces gros plans identiques avec le plan d’une assiette de soupe, le plan d’un cercueil où reposait une femme morte et le plan d’une petite fille en train de jouer. Le public admira le jeu de Mosjoukine qui savait si bien exprimer la faim, le chagrin et la tendresse. L’expérience de Koulechov n’a pas laissé de traces filmiques et les images parfois publiées sont apocryphes. Mais plusieurs films se sont attachés à reproduire l’expérience (voir sur ce point le film à destination pédagogique Gros plan, de Vincent Pinel et Christian Zarifian, 1976, et l’ouvrage Le Montage, l’espace et le temps du film, Vincent Pinel, éd. Cahiers du cinéma, coll. Les Petits Cahiers/SCÉREN-CNDP, 2001).

L’effet-K attire l’attention sur la fonction créatrice du montage : le simple collage de deux images permet que surgissent un lien ou un sens absent des images élémentaires. La jonction des plans établit une circulation du regard de l’un à l’autre, elle assure l’union entre le regardant et le regardé. Il faut en outre souligner, avec Vincent Pinel, la subtilité de l’expérience : le plan du stimulé (Mosjoukine) peut être placé avant le plan du stimulant (la soupe, la morte, l’enfant). L’effet-K implique alors une contamination rétrospective de la perception. Tout se passe comme si le regard du spectateur se substituait à celui de Mosjoukine disparu de l’écran et que ce regard insufflait a posteriori ses propres émotions sur le visage de l’acteur.

C’est ainsi que l’on peut faire intervenir dans un film symboles, métaphores et comparaisons. On peut citer deux exemples. Dans La Grève (1924), Eisenstein fait alterner des plans sur des ouvriers massacrés par les troupes du tsar et des plans sur une vache que l’on égorge. La comparaison est claire : les travailleurs sont traités comme du bétail à l’abattoir. Dans Fury (1936), par le même procédé, Fritz Lang assimile des femmes médisantes à des poules qui caquètent.

Le rythme

Si le montage est signifiant par le rapport des images entre elles, il l’est aussi par la cadence à laquelle défilent les plans : c’est le rythme. Si les plans sont courts, leur nombre est d’autant plus grand et leur déroulement plus rapide. S’ils sont longs, le rythme sera plus lent (il faut cependant tenir compte des mouvements de la caméra, qui peuvent jouer aussi sur le rythme). Un montage sec, nerveux, précis, donne un rythme allègre, frénétique, violent ; des plans longs suscitent une impression de douceur, d’apaisement, et peuvent appeler à la contemplation. En moyenne, un film « classique » des années cinquante comporte six à sept cents plans pour une durée d’une heure trente, mais certains exemples demeurent célèbres dans les deux sens : La Corde d’Alfred Hitchcock donne l’illusion d’avoir été tourné quasiment en continu et se présente comme un unique (faux) plan-séquence. Vivre pour vivre de Claude Lelouch comporte près de quatre mille plans, tandis que Le Mépris de Jean-Luc Godard ne recèle que 176 plans pour 105 minutes de film ; Sam Peckinpah a passé six mois dans sa salle de montage pour monter la fusillade finale de La Horde sauvage ! Le montage permet de dominer, de maîtriser le temps. C’est en fixant la durée de chaque plan que le montage donne le rythme. On sait qu’un repérage rigoureux a permis de vérifier que dans High Noon/Le train sifflera trois fois le temps réel correspond au temps fictif.

L’échelle des plans, leur succession et leur durée influent aussi sur le rythme. Une suite de plans d’ensemble crée une impression d’attente tandis qu’une suite de gros plans peut produire un effet dramatique. Lorsqu’un plan court succède brusquement à un plan long ou qu’un gros plan suit une vue d’ensemble, cela produit une rupture de rythme significative. Selon S.M. Eisenstein, « le montage est l’art d’exprimer ou de signifier par le rapport de deux plans juxtaposés, de telle sorte que cette juxtaposition fasse naître l’idée ou exprime quelque chose qui n’est contenu dans aucun des deux plans pris séparément. L’ensemble est supérieur à la somme des parties. » (Montage 38). La valeur du montage repose donc beaucoup moins sur chacune de ses images que sur les rapports de ces images entre elles, et Eisenstein considère que l’association des images débouche non sur une addition, mais sur une démultiplication des sens qu’elles comportent.

 

Les types de montage

Il convient maintenant d’établir une distinction entre le montage narratif et le montage expressif, l’un comme l’autre pouvant servir à démontrer une (des) idée(s), donc à faire de la propagande.

Le montage narratif consiste à assembler, selon une séquence logique ou chronologique, en vue de raconter une histoire, des plans dont chacun contribue à faire avancer l’action au point de vue dramatique ou psychologique. Il est donc souvent aussi montage linéaire, même s’il peut faire intervenir un flash-back ou un flash-forward (une analepse ou une prolepse, un retour en arrière ou une projection vers le futur). La plupart des films suivent ce type de montage.

Le montage expressif est fondé sur des juxtapositions de plans afin de produire un effet précis par le choc de deux images : le montage vise alors à exprimer par lui-même un sentiment ou une idée. Il crée émotion et réflexion, il vise à éveiller le spectateur, en brisant la fascination que le film exerce sur lui, et en l’invitant à prendre conscience de ce qu’on veut lui prouver ou lui faire ressentir. Le montage devient une fin au service d’une idée ou d’une cause que l’on défend. En ce sens, il est souvent plus difficile d’accès pour le spectateur que le montage narratif – et il est beaucoup plus rare, et en général cantonné aux œuvres d’« avant-garde ».

En plus de ces deux catégories très génériques, il faut voir que, à l’intérieur d’un film, peuvent intervenir d’autres méthodes de montage, de manière ponctuelle, pour telle ou telle séquence. On ne les relèvera pas toutes, et on se contentera de renvoyer à deux petits ouvrages : Le Vocabulaire du cinéma, Marie-Thérèse Journot, éd. Nathan Université, coll. 128, 2002 et Vocabulaires du cinéma, Joël Magny, éd. Cahiers du cinéma, coll. Les Petits Cahiers/SCÉREN-CNDP, 2004.

Il faut cependant signaler le montage alterné et le montage parallèle.

Le montage alterné, comme l’indique l’adjectif participe, alterne les plans de deux ou plusieurs séquences mettant en scène des actions qui se passent simultanément dans des lieux différents. On peut ainsi montrer tout à tour des poursuivants et des poursuivis qui évoluent dans des espaces assez proches sans appartenir au même champ, ou des actions dont le rapport temporel se double d’un rapport de similarité, comme dans M. le Maudit, de Fritz Lang (1931), où la police et la pègre échafaudent en même temps des plans pour trouver le meurtrier. Le montage alterné rapide peut tenir le spectateur en haleine en traduisant l’imminence du drame, de la fatalité : « Le héros parviendra-t-il à temps pour sauver sa bien-aimée ? » Il ne faut toutefois pas confondre le montage alterné avec le montage parallèle.

Le montage parallèle présente des séries d’images qui n’ont entre elles aucune relation de simultanéité. Discursif et non narratif, il est utilisé à des fins souvent rhétoriques de symbolisation, pour créer des effets de comparaison ou de contraste (on se référera à l’exemple cité ci-dessus de La Grève d’Eisenstein, qui montre en parallèle les ouvriers que l’on massacre et l’animal que l’on abat). La distinction entre montage alterné et montage parallèle est souvent théorique : le générique des Liaisons dangereuses de Stephen Frears (1988) montre le lever des deux personnages principaux. Il instaure à la fois un rapport temporel (de simultanéité – montage alterné) et une dimension discursive (en ce qu’il révèle les relations perverses de séduction et défi qui caractérisent les personnages – montage parallèle). Les montages parallèles peuvent comprendre les montages par antithèse, par analogie, par leitmotiv, mais aussi les montages métaphoriques, allégoriques, poétiques.

Enfin, pour anticiper notre étude d’un extrait d’un film d’Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine), on évoquera lemontage des attractions. Dans la théorie d’Eisenstein, comme l’ont montré Jacques Aumont et Michel Marie, cités par Marie-Thérèse Journot (Le Vocabulaire du cinéma, p.80), le montage des attractions est la « juxtaposition de saynètes semi-autonomes, au style volontiers caricatural ou burlesque, comme des attractions de music-hall, auxquelles le terme est emprunté ». Le montage des attractions est donc à rapprocher du montage parallèle. Eisenstein voulait provoquer chez le spectateur une émotion violente en accolant des images fortes, a priori sans lien contextuel, sans relation narrative. Il avait expérimenté ce procédé à la scène, sous l’influence de son maître Vsevolod Meyerhold et dans le cadre de ses spectacles d’« agit-prop ». Pour Eisenstein, il s’agissait de « façonner » le public à l’aide de ce qu’il appelait le « ciné-poing » : il n’était pas question pour lui de laisser une quelconque liberté d’interprétation au spectateur, il fallait que celui-ci fût obligatoirement amené à épouser l’idéal soviétique. Pour reprendre une célèbre formule de Roland Barthes, Eisenstein « foudroie l’ambiguïté ».

 

Des théories qui s’affrontent

Autant de cinéastes, autant de théoriciens, autant de conceptions du montage. On se bornera ici à opposer, pour éclairer ce qui précède, deux théories du cinéma.

Selon André Bazin, le fondateur des « Cahiers du cinéma », le cinéma a pour vocation « ontologique » de reproduire le réel. Bazin souligne donc la nécessité, pour le cinéma, de respecter la continuité physique et événementielle du monde réel. Comme on l’a dit dans l’article « La propagande et ses moyens », « pour André Bazin, le cinéma est bien l’art du réel et ne doit pas tricher avec lui » (voir l’article « Montage interdit », que l’on retrouve dans le recueil Qu’est-ce que le cinéma ? éd. du Cerf, 1976). Cette thèse est donc aux antipodes de la conception du cinéma qui recherche la spécificité de celui-ci dans le jeu du montage – comme l’a fait Eisenstein. « Il faut que l’imaginaire ait sur l’écran la densité spatiale du réel. Le montage ne peut y être utilisé que dans des limites précises, sous peine d’attenter à l’ontologie même de la fable cinématographique » (« Montage interdit »). Rappelons que l’« ontologie », en philosophie, est l’étude de l’« être en soi », on pourrait dire de la « nature même », du cinéma.

Au total, les systèmes de Bazin et d’Eisenstein n’ont pratiquement rien en commun : Bazin s’intéresse à la reproduction fidèle, « objective », d’une réalité qui comporte son sens en elle-même, alors qu’Eisenstein conçoit le film comme un discours articulé, « assertif », qui ne fait que se soutenir d’une référence au réel. « Le montage est l’art d’exprimer ou de signifier par le rapport de deux plans juxtaposés, de telle sorte que cette juxtaposition fasse naître l’idée ou exprime quelque chose qui n’est contenu dans aucun des deux plans pris séparément. » Ou, pour paraphraser le réalisateur soviétique Vsevolod Poudovkine (La Mère, La Fin de Saint-Pétersbourg, Tempête sur l’Asie) :  le film « n’adapte pas la réalité, mais l’utilise pour créer une nouvelle réalité » (voir Film Technique and Film Acting Film Technique a été publié en russe en 1926 et en anglais en 1929, Film Acting, en russe en 1934 et en anglais en 1937). La manipulation est donc revendiquée comme absolument nécessaire par les cinéastes soviétiques, nécessaire à la construction de l’État nouveau, nécessaire à l’éveil politique des consciences. Avec des théories et des pratiques différentes, les cinéastes soviétiques des années vingt (Eisenstein, Poudovkine, Vertov…) ont tous voulu le même objectif : aider à imposer l’idéal révolutionnaire, et ils l’ont fait avec force. Comme le soulignent Jacques Aumont, Michel Marie, Alain Bergala et Marc Vernet (Esthétique du film, éd. Nathan, coll. Nathan Université, 1983, p. 37 sqq), pour Eisenstein, le réel n’a aucun intérêt en dehors du sens qu’on lui donne, de la lecture que l’on en fait. La « vérité » d’un tel discours, c’est sa conformité aux lois du matérialisme dialectique et du matérialisme historique. Encore une fois, le film est moins représentation que discours articulé. Jacques Aumont souligne que, peu à peu, Eisenstein en est venu à parler d’une « extase filmique », d’une « sortie hors de soi » du spectateur, selon l’étymologie du terme grec ekstasis, une « sortie » qui emporterait une adhésion affective et intellectuelle au film. Dans son ouvrage Montage Eisenstein (éd. Images Modernes, coll. Les Inventeurs De Formes, 1978, rééd. 2005, p.82-89), Jacques Aumont insiste sur le fait que l’extase n’est pas « effet de passivisation », qui est le propre des « tares » idéalistes et bourgeoises, mais éveil, mise en route de l’activité émotionnelle et intellectuelle du spectateur. L’extase n’est pas « état d’exaltation provenant d’une joie ou d’une admiration extrêmes », mais plutôt, au sens religieux du terme, « union à un objet transcendant », à condition d’admettre qu’il n’y a pas de contradiction entre transcendance et matérialisme. Ce concept, chez Eisenstein, est tardif : il l’a introduit et développé dans La Non Indifférente Nature, qu’il a écrit entre 1939 et 1946-47. Mais cette notion était déjà à l’œuvre dans tous ses films des années vingt et trente. On comprend pourquoi Goebbels a tant souhaité avoir un Eisenstein à ses côtés ! Les cinéastes soviétiques, après avoir été eux-mêmes influencés par l’Américain David Wark Griffith (Naissance d’une nation, 1915), et par l’avant-garde française des années vingt, ont offert au cinéma de propagande des outils redoutablement efficaces.

Cet article est volontairement sommaire et incomplet. Il ne vise qu’à donner quelques éléments – théoriques et concrets – de ce que doit repérer l’étude d’un film de propagande. Il n’aborde pas, par exemple, la théorie des « intervalles » de Vertov, ni celle du « fragment » et du « conflit » d’Eisenstein : ces points seront, en cas de besoin, précisés au cas par cas. Et les ouvrages sur le montage ne manquent pas. Il suffit de citer – sans restreindre en quoi que ce soit la bibliographie à ces seules publications : Esthétique du film, Jacques Aumont, Michel Marie, Alain Bergala, Marc Vernet (éd. Nathan, coll. Nathan Université, 1983, réédition Armand Colin, 2016, sous le titre Esthétique du film, 120 ans de théorie et de cinéma), Le Montage, l’espace et le temps du film, Vincent Pinel (éd. Cahiers du cinéma, coll. Les Petits Cahiers/SCÉREN-CNDP, 2001), Esthétique du montage, Vincent Amiel (éd. Nathan, coll. Nathan Cinéma, 2001, réédition Armand Colin, 2017), Théorie du montage, énergie des images, Térésa Faucon (Armand Colin, 2ème éd., 2017). Ce qu’il était important de souligner, c’est que le cinéma de propagande, et le cinéma en général, disposent de « figures de style », de « figures de rhétorique » qui sont autant de moyens de « plaire, persuader, convaincre ». Mais il va de soi que ces moyens seront utilisés différemment en fonction du public auquel on s’adresse.