Considérations sur le « paysage mémoriel »

Cette notice fait partie du dossier: N°18. Mémoires hors les murs / Memories in-situ
Philippe MesnardUniversité Clermont Auvergne (UCA) / CELIS EA 4280, Institut Universitaire de France
Paru le : 05.02.2024

This text addresses the memorial landscape as a double construction. Indeed, the landscape can be understood as a cognitive construction historically determined by art, then, by culture. Memory, in his collective meaning, is itself the result of the interaction of social and cultural frameworks, and political factors. This is why the combination that we perceive as a memorial landscape results of this double construction. But this is only the start of the work that leads to two major questions. On the one hand, there is a risk of an aestheticization of the past through the representation of the memorial landscape. On the other hand, the memorial landscape becomes a stake of commercialization and fetishization of the past.

Keywords: commercialization, dark tourism, aesthetization, fetishization, landscape, memory, sublime.

 

Au départ de ce texte, il y a une prise de conscience déclenchée par l’accrochage, en 2021, de l’exposition Paysages de mémoire1. Cela faisait déjà près de deux ans qu’elle circulait en dépit des aléas dus à la crise sanitaire. Elle avait été à la Sorbonne, puis dans un musée de Valence dont l’équipe en avait pris en charge la scénographie comme l’installation. Clermont-Ferrand était sa dernière étape et c’est là que, par un concours de circonstances, je me retrouvais à en assurer la mise en place. Ce moment m’a permis de comprendre que l’ordre suivant lequel les pièces avaient été initialement présentées ne formait qu’une possibilité parmi d’autres. Mieux que l’idée de puzzle, c’est plus à un lego que je pensais alors. Jusque-là, l’ensemble avait été réparti suivant différentes sections dénommées : Fantômes, Ruines, Absences de traces ou Mélanges, cette dernière mettant le mémoriel en rapport avec la nature. Or, il m’ap- paraissait qu’il s’agissait là d’un agencement dont je n’avais pas, auparavant, saisi toute la dimension artificielle. Non sans étonnement, je m’apercevais que les photos pouvaient passer d’une section à l’autre sans que cela altère leur sens et sans que le sens des sections ni même du projet en soient modifiés. La cohérence de Fantômes, Ruines, Absences de traces ou Mélanges n’était en rien bousculée en dépit des nets changements.

Jusque-là, j’avais eu affaire à des paysages, a fortiori, mémoriels puisque c’est ce qui avait motivé que j’aille à leur rencontre, car tel est mon domaine de recherche et de prédilection. Qu’il y ait là du paysage mémoriel était pour moi une évidence. Point. Certes, on pouvait l’interroger, en développer une compréhension, l’expliquer, le déplier. En douter, non. C’est ce manque de doute, ce point aveugle au cœur de mon objectif – qui était, en l’occurrence, plus que photographique –, et cette habitude coulée dans mon regard comme dans ma réflexion dont ce nouvel accrochage m’a fait prendre conscience en me les mettant, pour ainsi dire, sous les yeux. J’étais entré dans une période où je remettais en question la validité des cadres et des catégories qui avaient ordonné non seulement mon interprétation, mais aussi mon regard.

Autrement dit, cet accrochage occasionné par un nouvel espace d’accueil avait fortuitement provoqué en moi un sentiment d’estrangement en introduisant une distance critique et objectivante dans l’appréhension de l’objet en tant que tel : le paysage mémoriel, qui n’en était pas moins le sujet même de la représentation. Ce que j’avais pris pour une donnée était un construit, un artefact, plus encore.

Or, si le « paysage mémoriel » – je préfère utiliser pour le moment des guillemets – s’affirme comme une matière composite et mouvante, voire versatile, fruit d’agencements et de combinaisons, quelle est alors dans l’économie de sa représentation la part revenant au paysage et celle que joue le mémoriel ? Car il s’agit moins de « découvrir » que le paysage est une construction du regard comme de l’esprit – ceci est acquis chez nombre de théoriciens du sujet, même si nous y revenons plus bas – que de se demander en quoi son association avec le mémoriel modifie son appréhension, l’infléchit, la colore et quel supplément cette association apporte.

De ce point de vue, relevant à la fois du paysage et du mémoriel qui sont déjà loin d’être simples à comprendre, la complexité de la chose en question se double. Le croisement avec les questions mémorielles semble même rendre plus ardue l’approche du paysage à la mesure de l’émotion que recèlent les objets de mémoire. Comme s’il n’était pas suffisant que le paysage soit un pôle majeur de subjectivation depuis les romantiques, voilà qu’on le qualifie de « mémoriel », qu’on le dénomme et l’imagine ainsi.

LA PERSPECTIVE MÉMORIELLE

Une approche préalable, comme un premier cercle, aurait pour point de départ le raisonnement suivant : si le paysage est une construction et la mémoire « collective » en est une également, alors la puissance du paysage mémoriel comme construction serait élevée au carré. Développons ce qui ressemble à un syllogisme pour atteindre le cercle suivant.

D’abord, qu’on le considère à partir de la thèse de l’artialisation (Roger, p. 16-30) ou d’un point de vue cognitif, le paysage est une construction de l’esprit. « Landscape is the work of the mind. Its scenery is built up as much from strata of memory as from layers of rock » (Schama, p. 7). Appartenant aux domaines des représentations mentales ou artéfactuelles, il se différencie nettement de la nature. « It is our shaping perception that makes the difference between raw matter and landscape » (ibid., p. 12). Il constitue même « une entrée particulièrement féconde dans le débat autour du constructivisme » (Trom, p. 247).

Ensuite, disons que les thèmes et pratiques mémorielles – que de façon souvent trop généralisante on nomme « mémoire collective » – relèvent de constructions dans lesquelles entrent en jeu des cadres sociaux et culturels, des facteurs politiques et épistémologiques, des dispositifs discursifs et de représentation interagissant les uns avec et sur les autres. Ce faisant, les questions de mémoire renvoient au passé par le prisme des interprétations qui en sont faites ; c’est de cette façon que l’on entre en rapport avec lui. Il faut ajouter à cela que nos sociétés démocratiques ont ceci de spécifique que le rapport mémoriel à leur histoire s’est constitué comme un pôle majeur de subjectivation, indexé à des valeurs morales humanistes de justice et de dignité où la reconnaissance de la victime, définie comme fragile et subissante, est centrale. Le paysage ne serait-il pas un des lieux et un des médias de cette reconnaissance ?

En tout cas, on comprendra facilement que la conjonction de ces deux « prémisses » aboutit à voir le paysage mémoriel comme une construction. Peut-être même le paysage est-il à la nature ce que la mémoire est au passé, ce qui les lie respectivement étant une relation paradoxale d’inaccessibilité et d’étonnante similitude. S’exerce là une médiation toute particulière où la nature se combine au passé d’où résulte une illusion référentielle par la double opération mimétique du paysage et du mémoriel – car aussi bien le paysage que la mémoire sont censés représenter leur référent de telle façon qu’on ait au moins l’impression de les y reconnaître –, opération dans laquelle la part d’imaginaire n’est pas moins décisive que la part réelle. Combien de fois prend-on le paysage pour la nature, la mémoire pour le passé ?

Cette étonnante similitude (paysage et nature, mémoire et passé) demande réflexion. Elle nous conduit à une question, généralement négligée – nous étant soufflée par les études littéraires – que partagent paysage et mémoriel : la question du réalisme. Or, si le propre du réalisme conventionnel est de ne pas montrer les techniques qui édifient l’illusion du comme si (Hamon), le propre du réalisme de notre modernité actuelle est de laisser paraître les techniques en les intégrant à son décor. Faire tomber le quatrième mur participe désormais à l’effet de réel comme les signalétiques et les consoles multimédia dans les parcours mémoriels décrits plus bas resserrent nos liens avec le passé tel qu’on l’imagine et qu’il nous émeut naturellement, a fortiori quand la mémoire de grands crimes se confond avec l’infinitude des paysages. Il semble pour cela important de reconsidérer le paysage mémoriel à partir du réalisme et du rapport référentiel in-situ qu’il instaure.

PAYSAGE, MÉMOIRE ET IDENTITÉ

Si aujourd’hui l’identification de sites mémoriels, ne serait-ce que par le tourisme, appartient à notre culture commune, la tournure particulière que prend au XIXe siècle le rapport collectif entre paysage et mémoire aide à situer les enjeux de ce dont on est contemporain. Il existe effectivement un lien datant de cette époque historique entre identité et nature structuré par le binôme paysage-mémoire qui s’affirme alors comme, non pas « paysage mémoriel », mais « paysage identitaire ». Cette représentation, élaborée notamment via la littérature et la peinture, porte les marques d’un passé dans lequel se reconnaissent les membres d’un groupe ancré dans un territoire sur lequel se déploie, comme en miroir, ledit paysage où ce groupe fonde naturellement son identité. Un tel paysage, renvoyant à son observateur l’identité de sa communauté d’appartenance, est mimétiquement redoublé par un paysage mental qui conditionne sa reconnaissance comme telle. Il est validé par la relation qui se soude entre identité et nature de même que, par réversibilité, la collusion entre nature et identité le valide. Je ne verrai jamais le Fuji-Yama comme un Japo- nais le voit, même sans l’avoir devant lui, de même pour le mont Olympe et, probablement, le mont Rushmore2. Et que l’identification du paysage puisse être sous-tendue par un mythe ne fait que renforcer le pacte de croyance d’autant qu’il détourne des enjeux politiques qui le conditionnent. C’est là toute la puissance des paysages dans l’imaginaire communautaire, puissance exhaussée quand les communautés sont diasporiques, séparées de leur terre d’origine par une histoire violente politique ou économique. On pense au mont Ararat dont l’image, pour les Arméniens au dehors du territoire national de la République d’Arménie, est affectée par la nostalgie de la terre perdue et, creusant ce sentiment, par l’empreinte du génocide de 1917 et de l’exil qui s’en est suivi pour la plupart des survivants. À un tout autre niveau historique, la poésie et les romans de Walter Scott ont largement contribué à édifier l’image de l’Écosse romantique avec, exemple des plus connus, La Dame du lac (1810) regorgeant d’une présence paysagère imprégnée de mémoires nationales.

Le paysage fonctionne ici comme médiation entre, d’un côté, un passé reconfiguré en mémoire, avec ses récits et sa culture, produisant une identité narrative (Ricœur, p. 439-448) et, de l’autre, un groupe d’individus partageant cette identité enracinée dans un sol naturel que décrit synthétiquement le paysage. Celui-ci devient un « thème de prédilection du discours idéologique puisque la lecture s’appuie sur l’évidence de la matérialité des éléments observés pour s’imposer comme vérité, et non comme perception parmi tant d’autres possibles » (Sgard, p. 23-24). La vérité en question est bien sûr celle du mythe, d’une construction imaginaire collective (voir Anderson). Le paysage codé est inséré dans un système de valeurs qui peuvent être, selon Anne Sgard, marchandes, patrimoniales ou identitaires (ibid.).

On mesure nettement l’importance de la valeur identitaire lorsqu’elle est alliée tantôt à une valeur patrimoniale nationale, des commémorations comme celle du plateau des Glières, près de Grenoble, haut-lieu d’un important maquis sous le feu de l’armée allemande en 1944, tantôt à une valeur communautaire, lorsque le point de vue de la Tour de l’Yser, à Dixmude en Belgique, fait embrasser au visiteur l’ensemble de la plaine de Flandre qui avait été saccagée par la Première Guerre mondiale. Cette tour de 84 mètres, le plus haut monument dit « pour la paix » en Europe, est longtemps resté un repère des séparatistes ultranationalistes flamands. Et si l’on souhaite compléter la problématique du paysage-mémoire identitaire à partir du point de vue, c’est à l’autre bout de l’Europe, sur les territoires de l’ex-RDA, qu’il faudrait se rendre, là où le promontoire de Buchenwald, à l’extérieur du camp, domine avec ses statues, ses stèles et sa tour la plaine de la Thuringe pour y inscrire le récit antifasciste véhiculé dans le discours officiel de la nation communiste.

Mais cette interaction entre paysage et mémoire construisant une identité ne correspond pas à ce que l’on entend aujourd’hui par « paysage mémoriel ». Car le mémoriel se démarque de la mémoire identitaire, en ce que les intentions qui le motivent, sans exclure la construction d’une identité de groupe, ne s’y limitent pas. Résonne dans le mémoriel un souci de faire reconnaître, donc de rendre visibles, des violences et des actes qui, ne pouvant pas être érigés en monument glorieux, n’entrent pas dans une culture de guerre dont les nations nourrissent leur image. En cela, non seulement le regain d’intérêt théorique pour le paysage, datant d’une trentaine d’années, serait contemporain de l’émergence d’un mémoriel humaniste autour des années 1990, mais l’expression plus tardive « paysage mémoriel » serait l’indicateur d’un changement épistémologique marqué par l’institution dans la société d’une véritable valeur mémorielle – s’ajoutant aux précédentes proposées par Anne Sgard. De même que pour Jacques Rancière, le paysage au tournant du XVIIIe siècle, en tant qu’objet de réflexion, joue un rôle charnière en inaugurant un temps moderne où les configurations de pensée se modifient et, notamment, le rapport de la société à la nature (Rancière, p. 9-11, 91-112), de même les questions que pose le « paysage mémoriel » seraient un signe des changements éthique et esthétique propres à notre époque, écho d’une « mutation profonde des mentalités » (Collot, p. 11).

« PAYSAGE MÉMORIEL »

Les propos théoriques de Jean-Marc Besse engagent à appréhender le paysage « au cœur de multiples expériences qui ne sont pas, ou pas seulement, visuelles » (Besse, p. 23). D’où le terme de « polysensorialité » pour qualifier les différentes relations que l’on noue avec le paysage et à partir desquelles celui-ci se définit. Pourtant, en dépit de nombreuses pratiques in-situ, une tendance valorise le rapport entre paysage et mémoire comme une représentation à la fois intimement liée à un sentiment contemplatif et portant l’empreinte d’une violence extrême dont le site en question est dépositaire.

SUBLIME POINT DE FUITE

La notion de « paysage mémoriel » résulte ici d’un renversement terme à terme du paysage identitaire, son inversion symétrique. Si avec celui-ci, l’œil et l’imagination fondent une identité de groupe, avec le « paysage mémoriel », c’est dans la destruction d’un groupe que s’en abîme la perspective. On me dira que l’identité d’un groupe peut tout à fait se fonder sur la dévastation qu’il a subie, ou plutôt sur le récit que ses survivants en font après-coup. Certes, mais cela excède le « paysage mémoriel » tel qu’il est formalisé ici. On a affaire, lit-on, à un « paysage de l’effacement » ou à un « paysage de la disparition » (Jurgenson, p. 26). Hanna Krall écrit justement que « la tuerie a ses paysages de prédilection : une étendue de sable, un ravin, un bois de pins clairsemé… » (Krall, p. 135). Que ce soit la clairière de Chelmno qu’arpente Simon Srebnik, Claude Lanzmann à ses côtés, dans Shoah (1985), une colline, saisie par Alexis Cordesse en 2013, parmi les « mille » du Rwanda3, le vide glacé de Vorkouta photographié en 2009 par Tomasz Kizny4 dont la neige recouvre un des vestiges de la terreur stalinienne ou, en Argentine, les broussailles derrière lesquelles, fixées par Sánchez Noli, se devinent les ruines du centre de torture de Miguel de Azcuénaga durant la dictature argentine5… l’on est interloqué par la violence non pas que l’on imagine, mais sur laquelle bute l’imagination comme sur sa propre limite.

Mais la formule selon laquelle « le paysage est ce qui reste là où il ne reste rien » (Jurgenson, p. 71) est-elle pour autant satisfaisante ? N’est-ce pas là entretenir une forme de paysage comme représentation négative, en l’espèce, mémorielle, c’est-à-dire comme une de ces figures spécifiques dont l’usage court-circuite le jugement ainsi que l’enseigne ladite rhétorique du sublime (Longin) ? Le risque n’est-il pas là de céder à une illusion référentielle qui ferait de l’effacement une finalité infinie perpétuant l’image du gouffre sans fonds de la terreur politique qui a eu lieu ? N’est-ce pas jouer le jeu des totalitarismes et des dictatures en rendant obscurs des événements plutôt que de les maintenir sous les lumières du savoir6 ? Ce serait alors un geste oxymorique qui, montrant qu’il n’y a rien à voir, déclenche un mélange d’effroi et de tristesse propre au sublime (Kant, p. 18-20).

La série de questions que pose le « paysage mémoriel » ne s’arrête pas là. Il y aurait une tentative d’instituer un régime de sensibilité au désastre cédant à la tentation d’une sacralisation où la trace comme l’absence se retrouvent hypostasiées, en miroir l’une de l’autre, emportées par une vision néoromantique au risque de passer pour une « quête de transcendance inadéquate » (Jurgenson, p. 28). C’est une réflexion de la sorte qu’a provoqué en moi le travail photographique du projet Fantômes d’Anatolie. Regard sur le génocide arménien7 de Pascaline Marre dont les qualités artistique et technique sont de haute tenue. Que l’on se tienne devant le diptyque Ani, église Surp Pırgiç 40°30’28”N 43°34’33”E des restes de l’église Saint-Sauveur ou bien face à Ani, l’Akhourian en Anatolie orientale, le regard est absorbé par une perspective géométrique conduisant vers la conscience effarée de la catastrophe. Cette perspective est tantôt inversée comme celle d’une icône orthodoxe dans la représentation de l’église Saint-Sauveur, tantôt fuyante comme pour la seconde image dont l’étendue couvre à perte de vue un paysage vallonné et désertique symbolisant l’éclipse du monde arménien sous la destruction sans mesure du génocide.

Le « paysage mémoriel » entretient en ce sens une forme de réalisme subjectif où la violence historique est d’autant plus saisissante qu’elle ne se laisse deviner qu’à travers des détails, des touches, des restes, de l’à-peine-visible emportés par des lignes infinies. Transcendant les catégories du visible, l’ambivalence du « paysage mémoriel » tient au sentiment du sublime réactualisé par la conscience que l’on a aujourd’hui de la terreur, au risque de brouiller doublement sur les plans politique et historique le rapport à ces sites que l’on ne peut pas réduire à des représentations.

AGIR AVEC

Face à cela, il existe des initiatives qui, extrayant le paysage de sa seule détermination comme représentation chargée d’une valeur mémorielle pleine de pathos, rééquilibrent son économie sémantique par des actions qui vont de la performance au projet. C’est ce dont atteste, par exemple, un certain nombre de travaux rapportés dans Paysage après-coup (2023) de Patrick Nardin et Soko Phay. Ce recueil fait en effet découvrir la façon dont cinq artistes créent des œuvres portant au jour la mémoire du génocide perpétré par les khmers rouges entre 1975 et 1979. Rithy Panh, Rattana Vandy, Christobal Bouey, Rida Sruth et Rafale Medeiros ont travaillé sur les paysages ruraux ou citadins convertissant ceux-ci en « paysage-mémoire » (sic). Leurs projets, en interaction avec la population, inversent à la fois le cours de la nature et l’intention des criminels en désensevelissant ce qui reste des victimes. Ils se sont ainsi trouvés, selon les termes de Jean-Marc Besse, à agir avec le paysage, c’est-à-dire à reconnaître le paysage comme la matière d’une « sorte d’animation et [à l’envisager] comme un espace de propositions potentielles » (Besse, p. 41).

Aucunement réductible à un cliché, ce mode d’intervention à même la nature produit un paysage mémoriel qui participe au mouvement d’une œuvre filmique (Rithy Panh, Rattana Vandy, Rida Srun, Rafael Medeiros) ou d’une installation véhiculée à travers la capitale (Christobal Bouey). Mais l’artialisation n’est pas le seul opérateur de cette action, les artistes ont également revêtu des habits d’archéologues et d’historiens (Phay, p. 88). En cela, ils ne s’en tiennent pas à un projet esthétique même si pour Rat- tana Vandy l’œuvre confine, dirait-on, au sublime dans un « mélange de beauté sombre et de sentiment d’angoisse diffus » (ibid., p. 91). À cela, s’associent dans le travail même de Soko Phay des ateliers pédagogiques menés notamment au Cambodge, mais aussi au Rwanda, définissant, entre autres, toute une praxis du paysage.

D’autres modes d’agir avec, d’une portée politique, ont lieu dans le paysage, mais se pose alors la question : peut-on encore les qualifier de « mémoriel » ? Sont concernés des espaces non pas démocratiques, mais autoritaires. Il y a ainsi des sites où ont eu lieu des violences politiques qui ne sont pas reconnues – ou peinent à l’être – en ce qu’ils révèlent non seulement une histoire criminelle, mais parce que leur révélation égratigne l’image du pouvoir actuel qui entretient avec cette histoire des affinités moins strictement idéologiques que policières. Or, quand le site n’est pas ouvert à une pleine reconnaissance démocratique, c’est-à-dire quand le pouvoir politique interfère dans cette reconnaissance au niveau même de la société, voire l’interdit, peut-on pertinemment parler de « paysage mémoriel » ?

Un exemple en Russie. À travers le travail de l’association Mémorial, dissoute arbitrairement par la Cour suprême russe le 28 décembre 2021, on mesure combien la terreur stalinienne continue d’être un enjeu politique contemporain. Aussi, débusquer les traces de Sandarmokh, lieu-dit désignant un charnier de 236 fosses où se trouvent encore les restes des fusillés de la Grande terreur, a-t-il été un acte périlleux qu’ont mené Irina Flige, Iouri Dmitriev et Veniamine Ioffé, liés tout trois à Mémorial, et dont Dmitriev paie de lourdes conséquences en étant la cible de plusieurs procès visant à le disqualifier8. La réhabilitation plus ou moins manifeste de Staline par le régime de Poutine est évidem- ment une façon d’écarter toute réflexion sur des méthodes de répression qui peuvent être réinstaurées quand elles ne l’ont pas déjà été, a fortiori, dans le contexte de la guerre d’agression menée en Ukraine depuis février 2022. On est ici aux antipodes d’un paysage qui, comme plus haut, se prête à une contemplation esthétique corollaire de sa valeur mémorielle et dénuée de toute action.

Comment, dans ce cas, photographier ces lieux ? Ou plutôt, en les photographiant, ne risque-t-on pas d’encourager une fétichisation mémorielle ? Ce faisant ne soustrairait-on pas le lieu, chargé de preuves historiques, à un projet politique d’exhumation pour le convertir en représentation paysagère ? Le « paysage mémoriel » ne s’avère-t-il pas résulter de la construction esthétique d’un regard formaté par un dispositif mémoriel dont la photographie est une des formes, une des techniques, un des procédés ? D’une certaine manière, l’objectivation critique de ce qu’est, en la circonstance, un « paysage mémoriel » retourne la question à ces actes photographiques qui ne produisent, ou même ne reproduisent que des vues ostentatoires. Alors, le paysage en tant que « mémoriel » est incompatible avec la photographie documentaire qui, en tant que telle, ne répond pas aux principes d’une esthétisation contemplative confinant au sublime. En revanche – et c’est bien là la complexité du sujet –, cette opposition entre esthétique et documentaire est bien secondaire au regard de la rationalisation instrumentale de territoires entiers convertis en paysage mémoriel. Cette dernière partie leur est consacrée.

DES AGENCEMENTS MÉMORIELS IN-SITU

On assiste en effet depuis ces dernières décennies à la mise en place de réseaux et de parcours formatés par une signalétique qui redessine la géographie existante suivant des critères mémoriels mettant en valeur des lieux qui avaient été jusque-là négligés. Au début des années 2000, Passages (1990-1994) de Dani Karavan était une installation atypique en hommage au philosophe juif allemand Walter Benjamin qui s’était suicidé à Port Bou le 26 septembre 1940. L’œuvre était située non loin du cimetière dans lequel se trouve un cénotaphe qui lui est dédié. Port Bou, petit village côtier près de la frontière franco-espagnole, avait été un des sas de la Retirada, la fuite des Espagnols antifranquistes hors de leur pays, avant de voir passer dans l’autre sens en 1940 des Juifs et d’autres groupes persécutés par les nazis. Or, depuis quelques années la petite ville s’est couverte de panneaux indicatifs sur le philosophe, dont la pensée ardue suscite toujours des exégèses, comme s’il était devenu une marque, un brand au sens anglo-saxon, avec un cours indexé à l’accroissement de sa valeur mémorielle sur le marché. La municipalité s’en serait ressaisie comme d’une véritable plus-value. Supplément d’âme de la circulation estivale, Passages est désormais une étape du tourisme mémoriel généralisé dont les gestionnaires consacrent par de tels agencements la récupération de l’art en culture de masse. Le paysage s’avère, certes, « mémoriel », mais en ce que le mémoriel permet une nouvelle esthétisation indexée sur une logique de marché qui neutralise toute la valeur politique de contre-pouvoir recelée aussi bien par l’art que par la pensée de Benjamin.

On passe alors, pour reprendre la distinction de Jean-Marc Besse, d’un mode d’agir avec à un mode d’agir sur (Besse, p. 39). Peut-être est-ce là que l’on rencontre ce qu’est une véritable construction paysagère mémorielle cadrée, structurée et même conditionnée in-situ par des dis- positifs rationnels qui vont de la signalétique à la gestion de territoires entiers urbains, ruraux ou naturels bouleversant les économies et les modes de vie locaux. Car la tendance à redessiner mémoriellement les territoires entiers est générale dans les espaces démocratiques où les crimes historiques ne remettent pas en cause la gouvernance politique. La Catalogne et ses régions avoisinantes ont vu éclore de tels programmes pour les lieux symboliques de la guerre d’Espagne dont elles sont riches. D’ailleurs, avant d’acquérir une actualité mémorielle, les signes légendaires du passé de ce pays avaient servi à le reconfigurer en pay- sage attractif dès les années 1980 (Mármol).

Il ne semble pas y avoir, à l’échelle de l’Europe, de lieux historiques qui ne soient progressivement par le biais d’une telle valorisation façonnés en « paysage mémoriel » allant jusqu’à la reconstitution de quartiers entiers comme la fameuse nouvelle vieille ville de Francfort (Neue Frankfurter Altstadt). Restons en Allemagne où Berlin peut être vue – et lue – comme une immense carte mémorielle où se superposent et s’ajointent à la fois l’histoire du national-socialisme et celle de la RDA, mais dont une partie de celle-ci est aujourd’hui recouverte par la splendeur de l’Empire des Habsbourg symbolisée par la pâle copie du château qui a été érigée en lieu et place au Palast der Republik de l’ex-République. Mutatis mutandis, la Belgique, principalement pour la Flandre orientale, a été mémorialisée suivant le tracé du front de la Première Guerre mondiale s’étendant d’Ypres à Nieuport, dominé par la tour de l’Yser déjà mentionnée (la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, bien que présente avec la Caserne Dossin et le fort de Breendonk, est moins étalée). Non loin, Dunkerque, cette fois-ci pour la retraite de mai 1940 et l’opération Dynamo, a elle-même été en partie retoilettée. Le mémoriel dépasse aujourd’hui le patrimonial dont il ne fait qu’une de ses haltes, un de ses attraits. La patrimonialisation est absorbée par la mémorialisation dont le mouvement reconfigure la géographie mondiale des démocraties.

Aussi, comprendre la mémorialisation du paysage et savoir de quoi l’on parle quand on utilise « paysage mémoriel » nécessitent-ils d’appliquer un regard critique sur ces représentations du sublime de la dévastation qui tendent à nous faire oublier le système de recyclage dont elles sont un des rouages – et ceux qui s’y complaisent, des agents. Évidemment, rien là de sublime ni de postromantique, sinon l’effet d’une envolée intellectuelle, dans ce qui s’impose ici comme une forme de modernité rétrospective. La compréhension du paysage mémoriel – sans guillemet dès lors qu’il s’agit bien d’agencements in-situ – demande de prendre en compte l’ensemble de ces procédures rationnelles qui conditionnent le passage de la fabrication du paysage à sa construction et sa reproduction standardisée, puis à son existence, donc à son entretien et sa conservation en tant que réification d’un passé désormais privé, à raison au regard des lois du marché, de toute étincelle permettant de débonder le présent.

Pour conclure (provisoirement), je me limiterai à quelques considérations qui sont autant de pistes pour lire ou visiter autrement la complexité des rapports entre paysage et mémoire, mais aussi entre une société et ses passés.

Une des pièces du puzzle n’a, jusque-là, pas vraiment été évoquée. Pourtant cet élément, généralement négligé par les discours contemplatifs, fait partie du jeu qui fabrique le paysage mémoriel d’autant plus qu’il est bien in-situ : ce sont les destinataires, ceux que l’on inclut dans la catégorie trop englobante du tourisme mémoriel. Si le paysage est « indissociable de la personne qui [le] contemple » (Corbin, p. 11), ce qui tient à sa vision résulte alors de la conjonc- tion de différents regards au nombre desquels, avec ceux des photographes, paysagistes, chercheurs, s’ajoutent ceux de ces visiteurs que sont les touristes et les scolaires – la visite des écoles est un facteur déterminant de la fabrica- tion mémorielle. À ce titre, cet ensemble hétéroclite est partie prenante du paysage mémoriel, a fortiori quand celui-ci, comme cela se produit de plus en plus souvent, est immersif.

En reprenant l’opposition forgée par Michel de Certeau entre tactique de braconnage et stratégie de marketing9, on pourrait avancer que des formes de résistance ou d’agentivité (en anglais agency) à la production de paysages mémoriels par la culture de masse sont à même d’ouvrir des interstices de liberté pour se réapproprier politique- ment l’articulation entre espace et passé. Même si tout est mis en place dans la société pour céder au chant des Sirènes de son spectacle et, en cela, les normes morales que véhicule le mémoriel ne laissent que des marges étroites à de telles libertés. Et les comportements provocateurs ou pseudo-transgressifs lors de visites ne sont que des faux-semblants de cette liberté – on pense à certains groupes scolaires où « ça dérape » – ou des effets pervers d’une norme vécue comme si elle était imposée par un discours émanant d’autorités morales trop souvent éloignées du social.

Autre point corrélé, celui de la distraction. Suivant des stratégies managériales, le rapprochement spatial entre zones mémorielles et parc d’attraction (Sturken, p. 120- 121), voire la superposition des deux en introduisant des logiques ludiques dans les dispositifs mémoriels, correspond à une tendance forte du réaménagement de nombreux territoires et de la construction paysagère qui en participe. C’est ce que démontre, un parmi tant d’autres, le vaste projet du site dit « immersif sur le Débarquement et la Bataille de Normandie [qui doit] s’implanter à Carentan-les-Marais, dans la Manche », autrement dénommé « Hommage aux héros » ou « DDay expérience »10 qui fait des espaces attenants aux plages du jour J un immense jeu de piste commercial digne des joutes médiévales du Puy du Fou, le revanchisme anti-Républicain en moins (Besson, Ducret, Lancereau & Larrère).

Un des devenirs qui attend un site marqué ainsi par un événement – a fortiori s’il a été catastrophique ou décisif pour le destin des communautés concernées – est d’être converti en une représentation qui, tout en reposant sur la force persuasive du réalisme référentiel, perd, détourne, voire falsifie le réel historique qu’il est censé désigner11. Autrement dit, de la construction du paysage mémoriel résulte un paysage écran. C’est pourquoi il ne faut pas dénier au paysage mémoriel le pouvoir, suivant des stratégies intentionnelles ou non, d’effacer des pans entiers de passés pourtant présents sur les lieux même qu’il recouvre.

Ainsi, sur l’autre scène invisibilisée par le spectacle touristico-historique qu’offrent les ruines fétichisées de Belchite, en Espagne, village détruit pendant la guerre d’Espagne et conservé en l’état, l’on ne rencontre pas seulement Rodén qui, à moins de trente kilomètres, a subi le même sort tout en demeurant ignoré des politiques patrimoniales. L’autre scène invisibilisée, ce sont ces territoires entiers qui, en Espagne, sont progressivement « déshabités »12 parsemant la carte du pays de misères opaques démographiques et économiques dont les ruines abandonnées de Rodén sont la métonymie. C’est le campement de harkis qu’a recouvert l’édification de Sophia Antipolis (voir dans ce même numéro le commentaire que livre Anne Roche du roman Antipolis de Nina Leger). La disparition, ce sont aussi les bidonvilles dont il ne reste aucune mémoire – donc aucune mémoire des déterminations qui ont conduit des immi- grants à vivre dans de telles conditions d’insalubrité – ou les dispositifs anti-installation rejetant les gens du voyage hors du paysage urbain et banalisant leur rejet de l’histoire de la ville. C’est aussi ce « monde disparu, celui du charbon, celui de la mine qui pendant plus de 150 ans a constitué un élément du paysage français et pour des milliers d’indi- vidus leur quotidien » (Artières, p. 4). Le terril est devenu un endroit de balade dominicale, comme le Bunker sur la côte Atlantique un rendez-vous du Beach art.

Aussi les zones qui sont animées par une lutte mémorielle parce que les crimes qui y ont été perpétrés polarisent toujours des enjeux politiques, et celles qui bénéficient pleinement aujourd’hui d’une reconnaissance désormais instituée s’inscrivent-elles dans la vaste économie symbolique de la visibilité des violences collectives. C’est en ce sens que le « paysage mémoriel », s’il est considéré comme tel, doit être replacé dans les enjeux contemporains du mémoriel dont un des risques majeurs – sous-tendu par les avancées les plus récentes de l’économie capitaliste – est l’esthétisation des questions mémorielles dans un contexte de sociétés largement déterminées par la simulation. ❚

 

 

ŒUVRES CITÉES

Alexander, Jeffrey C. (dir.), 2004, Cultural Trauma and Collective Identity, Los Angeles, University of California Press.

Anderson, Benedict, 2006 [1996], L’Imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, traduit de l’anglais par Pierre- Emmanuel Dauzat, Paris, La découverte.

Artières, Philippe, 2023, La Mine en procès Fouquières-lès-Lens, 1970, Paris, Anamosa.

Besse, Jean-Marc, 2018, La Nécessité du paysage, Marseille, Parenthèse.

Besson, Florian, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau & Mathilde Larrère, 2022, Le Puy du faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Paris, Les Arènes.

Certeau de, Michel, 1990, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, « folio essais ».

Collot, Michel, 2011, La Pensée-paysage, Arles, Actes sud. Corbin, Alain, 2002, L’Homme dans le paysage, Paris, Textuel.

Mármol, Camila del, 2014, « The Politics of Heritage and the Past in the Catalan Pyrenees », in David Picard & Michael A. Di Giovine (dir.), Tourism and the Power of the Otherness. Seductions of Difference, Bristol, Channel View Publications.

Flige, Irina, 2021, Sandormokh. Le Livre noir d’un lieu de mémoire, traduit du russe par Nicolas Werth, Paris, Les Belles lettres.

Halbwachs, Maurice, [1941], La Topographie légendaire des Évangiles en Terre Sainte,

Hamon, Philippe, 1982, « discours contraint » [1973], in R. Barthes, Leo Bersani, Ph. Hamon, M. Riffaterre, I. Watt, Littérature et réalité, Paris, Le Seuil, p. 119-181.

Jackson, John Brinkerhoff, 2003 [1984], À la Découverte du paysage vernaculaire, traduit de l’anglais par Xavier Carrere, Arles, Actes Sud/ ENSP.

Jurgenson, Luba, 2020, « Comme si de rien n’était » et « Absence
de traces », in Luba Jurgenson & Philippe Mesnard, Paysages de mémoire, catalogue de l’exposition, Mémoires en jeu, n° 11, été 2020, respectivement p. 26-29, p. 71.

Krall, Hannah, 2021, Les Fenêtres, traduction du polonais par Margot Carlier, Paris, Les éditions Noir sur Blanc.

Levi, Primo, 1985, « De l’Écriture obscure », in idem., Le Métier des autres, traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger, Paris, Gallimard, p. 68-77.

Longin, 1995, Traité du sublime, traduction et préface de Boileau [1674], Paris, Le Livre de poche.

Mesnard, Philippe, 2022, Paradoxes de la mémoire. Essai sur la condition mémorielle contemporaine, Lormont, Le Bord de l’eau.

Phay, Soko, 2003, « Le tragique du paysage », in Patrick Nardin & Soko Phay, 2023, Paysage après-coup, Paris, éditions Naima, p. 87-106.

Rancière, Jacques, 2020, Le Temps du paysage. Aux origines de la révolution esthétique, Paris, la Fabrique.

Ricœur, Paul, 1985, Temps et récit, 3. Le temps raconté, Paris, Seuil, « Points essais ».

Roger, Alain, 1997, Court traité du paysage, Paris, Gallimard.

Sgard, Anne, 1997, Qu’est-ce qu’un paysage identitaire ? https://shs.hal. science/halshs-00270702v1/document, version du 7 juillet 2008.

Kant, Emmanuel, 2008, Observations sur le sentiment du beau et du sublime, Paris, Vrin.

Trom, Dany, 2001, « À l’épreuve du paysage. Constructivisme savant et sens commun constructiviste », Revue du MAUSS, 2001/1, n° 17, p. 247-260.

Sturken, Marita, 2007, Tourist of History. Memory, Kitsch, and Consumerism from Oklahoma City to Ground Zero, Durham & London, Duke University Press.

 

1 J’avais été commissaire de cette exposition avec Luba Jurgenson qui a circulé dans quatre endroits en France jusqu’à son dernier lieu Clermont-Ferrand. Pour en retrouver les éléments : https://www.memoires-en-jeu.com/sites-lieux/paysages-de-memoire-exposition/ ou bien en découvrir l’ensemble dans son catalogue auquel le n° 11 de Mémoires en jeu est consacré, en ligne : https://www.memoires- en-jeu.com/dossier/n-11-paysages-de-memoire/

2 Sur la transformation de la montagne en paysage, voir Alain Roger (Roger, p. 83 sq.).

3https://alexiscordesse.com/travaux/absences/info/

4 Tomasz Kizny a par ailleurs effectué un remarquable travail sur la Grande terreur et ses témoins, voir l’entretien mené par Luba Jurgenson que Mémoires en jeu a publié dans son n° 1, mis en ligne : https://www.memoires-en-jeu.com/varia/ la-grande-terreur-en-images-entretien-avec-tomasz-kizny/

5 On retrouve dans le catalogue de l’exposition (Mémoires en jeu n° 11, été 2020) les photos de Tomasz Kizny (p. 64, 72, 84), et Miguel de Azcuénaga (p. 82) et en ligne : https://www.memoires-en-jeu.com/dossier/n-11-paysages-de-memoire/

6 Il faut relire ici « De l’écriture obscure » de Primo Levi, notamment des passages tels que : « Aussi suis-je excédé de ces louanges que suscitent des textes (je cite au hasard) “dont les résonances sont à la limite de l’ineffable, du non-être, du grognement animal”. Je suis fatigué des “denses amalgames fusionnels”,
du “nihilisme sémantique” » (p. 73) ; « Ces ténèbres, de plus en plus denses
[…], jusqu’à un ultime balbutiement inarticulé, consternent comme le râle d’un moribond » (p. 74).

7 https://www.pascalinemarre.com/FA

8 Voir https://www.memoires-en-jeu.com/actu/le-proces-de-iouri-dmitriev-a-qui-profite-le-crime/ ;

https://www.memoires-en-jeu.com/actu/memorial-exige-la-liberte-pour-iouri-dmitriev/ &

https://www.memoires-en-jeu.com/actu/ memorial-exige-la-liberte-pour-iouri-dmitriev/

9 Il faut suivre ici les chapitres que L’Invention du quotidien consacre aux rapports entre stratégie, tactique et braconnage et les appliquer aux territoires mémorialisés convertis en « paysage » (de Certeau, p. XXXV-LIII ; p. 239 sq.).

10 https://dday-experience.com

11 Bien que cela relève d’une tout autre histoire, je ne pense pas inutile de rappeler que, dans La Topographie légendaire des Évangiles en Terre Sainte, Halbwachs écrit : « qu’on songe qu’il n’y a, à Jérusalem et dans toute la Palestine, aucun vestige authentique, d’une authenticité certaine, qui marque le passage de Jésus, aucun bâtiment, aucune maison subsistante dont on puisse dire qu’il y est entré » (Halbwachs, p. 113). Quand on voit les flots de fervents chrétiens circuler dans le vieux Jérusalem, on peut s’interroger sur la construction mentale d’une représentation collective sans aucun rapport avec la matérialité empirique de l’existant.

12 Je renvoie ici aux travaux d’Anaïs Boudot, Marine Delouvrier & Hervé Siou : https://espagnedeshabitee.fr/