Los Pozos, Alquife

Anaïs Boudotartiste, photographe
Paru le : 10.05.2021
© Anaïs Boudot

 

 

Dans l’histoire de l’activité minière en Espagne, Alquife occupe une place importante : la mine de fer fut la plus grande du pays durant l’après-guerre. L’exploitation du fer est ancienne dans le marquisat du Zenete (Grenade, Andalousie), mais c’est surtout depuis le début du XXe siècle que l’activité extractive y a connu un boom et c’est pendant la dictature franquiste qu’elle a profondément transformé le paysage. Le petit village adossé à son promontoire a ainsi vu progressivement s’ouvrir un immense abîme à ses côtés – une mine à ciel ouvert aujourd’hui envahie par les eaux d’infiltration – et s’ériger une nouvelle colline formée par les gravats accumulés retirés de ses entrailles. Un petit village destiné aux mineurs et à leurs familles a également été construit au mitan des années 1950. Aujourd’hui, il est à l’abandon. Largement détérioré, il est enclos par un immense grillage et il ne sert plus guère qu’à l’armée qui a trouvé dans le dédale des rues un terrain approprié pour s’entraîner à la guérilla urbaine. En effet, l’activité de la mine s’est brutalement arrêtée en 1996, plongeant la région dans une profonde crise.

L’Espagne a cependant vu se multiplier les projets miniers sur tout son territoire, notamment depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2008. À Alquife, un projet de réactivation de l’activité extractive est en cours. Pour les anciens mineurs restés au village, ceux qui étaient originaires de la région et n’ont pas émigré lors de la fermeture, cette réouverture ne peut avoir lieu. Elle a été trop annoncée et ils en ont trop rêvé depuis plus de vingt ans pour ne pas être sceptiques. Aussi, plutôt que de spéculer sur une hypothétique remise en marche de la mine, blottis contre les flancs de la colline ferrugineuse, ils préfèrent se retrouver à l’Hogar del Pensionista ou au café d’Andrés pour se rappeler les galeries secrètes dans lesquelles ils se sont perdus étant gamins ou bien les courses pour monter sur le train en marche chargé de minerai qui s’en allait vers le port d’Almería. La physionomie du village de Los Pozos était à l’image du système hiérarchique paternaliste qui organisait la vie sociale dans l’entreprise minière. Le directeur disposait d’une bâtisse cossue avec un court de tennis privé, les ingénieurs et cadres habitaient des maisons avec jardins et les simples ouvriers des maisons alignées plus petites, mais ce qui fait l’orgueil des anciens habitants et ce qu’ils se plaisent à remémorer, ce sont les services dont ils disposaient : école, hôpital, magasin, piscine, cinéma, salle des fêtes, discothèque, bar étaient réservés aux ouvriers et à leurs familles. De plus, les maisons leur étaient cédées gratuitement et l’eau et l’électricité étaient également gratuites.

Certes, il est aussi vrai que depuis que les immenses machines se sont arrêtées – leurs squelettes gisent encore çà et là –, on respire mieux : les tonnes de poussière rouge que soulevait l’extraction et qui encrassaient les poumons se sont déposées sur le sol. De plus, le bruit incessant et assourdissant des machines qui, de jour comme de nuit, remplissaient l’espace de leur présence, a cessé. Néanmoins, rien n’y fait : la mine était un monde et il a aujourd’hui disparu. La région dispose pourtant d’autres ressources – la montagne, l’eau et le tourisme vert – et Alquife offre une vue spectaculaire sur la Sierra Nevada, mais c’est le trou béant de la mine qui occupe encore les esprits, comme si l’écho des machines ne s’était pas totalement estompé, comme si les poussières rouges voletaient encore dans les airs. Comme un abîme du souvenir, le trou de la mine semble avoir voulu entraîner dans sa cavité la montagne tout entière qui lui fait face. Les ocres couleurs ferrugineuses ont teinté de rouge le blanc immaculé des sommets enneigés de la Sierra Nevada. ❚

 

 

 

© Marine Delouvrier

 

 

Le petit village adossé à son promontoire a ainsi vu progressivement s’ouvrir un immense abime à ses côtés – une mine à ciel ouvert aujourd’hui envahie par les eaux d’infiltration – et s’ériger une nouvelle colline formée par les gravats accumulés retirés de ses entrailles.

 

 

 

Le village disposait de services importants pour l’époque, ce qui faisait des envieux dans les alentours : école, hôpital, magasin, piscine, cinéma, salle des fêtes, discothèque, bar étaient réservés aux habitants de Los Pozos, les maisons des ouvriers leur étaient cédées gratuitement et l’eau et l’électricité étaient gratuites.

 

 

 

Depuis que la mine a fermé en 1996, Los Pozos est resté abandonné. Les immenses machines se sont arrêtées. Les tonnes de poussière rouge que soulevait l’extraction et qui encrassaient les poumons se sont déposées sur le sol.