Dimension matérielle des écrits personnels rédigés pendant la Shoah. Entre l’ordinaire et l’extraordinaire

Pawel RodakUniversité de Varsovie
Paru le : 18.07.2021

Abstract: This article focuses on Jewish diaries written in Poland during the Holocaust. These diaries are approached without limiting their analysis to the text alone, but by considering them in their materiality and therefore as the result of a practice. Different dimensions of this day-to-day writing are explored here: existential, pragmatic, textual, material, with a particular attention to the latter.

Je propose ici1 une analyse des journaux personnels, abordés en tant que pratique écrite (scripturaire) de la vie quotidienne où la dimension matérielle joue un rôle très important. Un journal n’est pas seulement un texte, il est aussi un objet (un artefact). La vérité d’un journal ne se manifeste pas seulement sur le plan textuel : c’est un fragment de la vie de l’individu qui laisse des traces. Pour montrer l’importance de la dimension matérielle des journaux personnels (et plus largement des pratiques d’écriture), je me concentrerai sur les journaux de Juifs tenus au cours de la Seconde Guerre mondiale en Pologne (principalement par des enfants).

Pour commencer, une observation très simple : on assiste à une nouvelle pratique éditoriale, qui vise à donner au lecteur une idée de la matière originale des documents historiques, en particulier ceux de nature autobiographique et notamment les journaux. En effet, de nombreuses éditions sont accompagnées d’illustrations présentant le manuscrit complet (généralement en regard du texte imprimé). C’est le cas, par exemple, du journal de la jeune femme juive nommée Maryla, écrit dans le ghetto de Varsovie. Maryla fut probablement déportée ensuite au camp d’extermination de Majdanek. Toutes les informations dont nous disposons sur elle proviennent de ces écrits rédigés sur des cahiers d’écolier. L’un de ces deux ou trois cahiers s’est conservé, les fragments d’un autre nous sont parvenus en lambeaux, complétement détruits.

Piotr Weiser, maître d’œuvre de cette publication, note dans sa préface que « la découverte de ce manuscrit autographe est [ici] traitée comme une valeur en soi » (Maryla, p. V). Effectivement, la matérialité du manuscrit est ici d’autant plus importante qu’il s’agit de notes écrites en des circonstances exceptionnelles (dans le ghetto) et dont la conservation n’allait pas de soi. Il en va de même pour la publication des Archives Ringelblum. Chaque volume est maintenant accompagné d’un CD contenant une version scannée de tous les documents, manuscrits ou dactylographiés2. Les archives clandestines du ghetto de Varsovie, dites Archives Ringelblum, sont des documents – rapports, journaux intimes, lettres, au total 2 000 unités d’archives – collectés par l’organisation Oyneg Shabes, créés pour documenter la vie dans le ghetto et les crimes des Allemands. Cachés dans des boîtes métalliques et les bidons de lait, enfouis sous terre, les deux tiers de ces documents ont été retrouvés après la guerre (Kassow ; Ringelblum, 2017).

Parfois, généralement en raison des contraintes éditoriales, seules quelques pages du manuscrit sont présentées ; cependant, les éditeurs soulignent l’importance de la maté rialité des journaux. C’est le cas du journal de Renia Knoll (une jeune fille juive du ghetto de Cracovie). Issue de la vieille bourgeoisie juive cracovienne, elle avait 12 ans au début de la Seconde Guerre mondiale. Son journal couvre la période du 16 mai 1940 au 1er septembre 1941. Il s’agit là encore d’un cahier d’écolier. Le destin de Renia est exceptionnel : elle a survécu à la guerre, tout comme son journal. Nous ne savons pas pour autant ce qu’il est advenu d’elle par la suite : probablement a-t-elle émigré en Palestine après la guerre.

L’édition imprimée de son journal ne montre que quelques pages du manuscrit. Accompagnées d’une note de l’éditeur, celles-ci suffisent cependant à donner au lecteur une image de l’original et à lui faire prendre conscience des différences fondamentales qui existent entre le manuscrit et la version imprimée. Justyna Kowalska-Leder, responsable de cette édition, souligne que le contact avec les manuscrits « permet de mieux comprendre l’auteur, de pénétrer dans le processus de création des notes, souvent corrigées par Renia Knoll. Dans la version imprimée, les notes semblent prendre un aspect définitif, achevé, tandis que le journal est une forme ouverte, qui demeure dans une relation dynamique avec l’auteur » (Kowalska-Leder, 2012, p. 60-61).

Justyna Kowalska-Leder souligne les différences que subit, plus généralement, tout texte en passant de la forme manuscrite à celle imprimée. Je pense que nous pouvons aller plus loin : c’est un changement fondamental qui s’opère pour ce qui est de son statut. En changeant de médium (du manuscrit au texte imprimé) et de support (du cahier d’écolier au livre), on aboutit à un objet totalement différent. Pour résumer, on peut dire que le livre imprimé apporte un sens et une signification textuels autonomes, alors que le manuscrit était l’une des composantes d’une pratique d’écriture fortement liée au contexte dans lequel il a été créé.

Citons un troisième exemple, le journal de Dawid Rubinowicz. Sa version éditée contient quelques illustrations donnant à voir sa forme matérielle. Comme dans les deux cas précédents, ce sont des cahiers d’écolier (cinq cahiers). Dawid Rubinowicz avait 12 ans au début de la guerre. Son père était laitier. La famille vivait dans un petit village près de Kielce, à environ 200 kilomètres de Varsovie. À la fin du journal, écrit entre le 21 mars 1940 et le 1er juin 1942, Rubinowicz se trouvait avec sa famille dans le ghetto de Bodzentyn. Le journal s’interrompt au milieu d’une phrase. Dawid a probablement été assassiné dans la chambre à gaz de Treblinka en septembre 1942.

Les trois journaux cités sont donc différents selon qu’on les analyse uniquement en tant que textes ou que l’on tient compte de leur forme matérielle. C’est leur matérialité qui permet de déterminer la nature de la trace qu’ils représentent. Le texte du journal, immatériel et incorporel, renvoie à la signification (quelle que soit l’approche, structuraliste, sémiotique ou herméneutique) ; l’objet matériel, l’artefact se réfère, quant à lui, à la pratique. Il s’agit d’une pratique de la vie quotidienne dans un contexte historique exceptionnel.

Par conséquent, notre analyse et compréhension ne doivent pas se fonder sur les théories du texte et sa signification, mais sur les théories de la pratique, de l’action verbale et de ses fonctions. Les photographies des manuscrits (si nous n’avons pas accès à ces derniers) nous permettent de voir les traces écrites de leurs auteurs, dans toute leur individualité et originalité, ainsi que dans leurs connexions avec d’autres personnes, un réseau de relations sans lesquelles le journal ne serait pas écrit ou ne serait pas conservé. Dans ces trois cas les journaux sont la seule trace (ou presque) qui reste de ces personnes. Leur préservation est due au hasard et dépendait d’autres gens. Le journal de Maryla a été trouvé après la guerre sur le site de l’ancien camp de Majdanek lors de la démolition de l’un des bâtiments. Celui de Renia Knoll a été découvert pendant la guerre près de Varsovie, dans une usine de papier, dans un tas de déchets destinés être broyés, par un employé ; puis, remis à l’Institut historique juif de Varsovie en 1958. Celui de David Rubinowicz, dans le grenier d’une maison de Bodzentyn, la ville où l’auteur vivait pendant la guerre. D’autres, nombreux sans doute, ne se sont pas conservés.

POURQUOI ÉCRIRE UN JOURNAL ?

Je me propose donc d’aborder les journaux juifs polonais du temps de la guerre sans me limiter au texte seul, mais en les considérant comme le résultat d’une pratique écrite (ou pratique d’écriture) de la vie quotidienne. Celle-ci se caractérise par au moins trois dimensions importantes : d’abord existentielle et pragmatique, ensuite matérielle et enfin textuelle. C’est dans toutes ces dimensions que la guerre (et plus exactement la Shoah) affecte la pratique diaristique. Je me concentrerai ici sur la dimension matérielle, mais m’arrêterai brièvement au préalable sur les deux autres.

Postuler une « dimension existentielle et pragmatique » journal permet de donner plus d’importance aux questions : « par qui ? », « comment ? » et « dans quel but ? » a-t-il été tenu. Avant tout, il faut remarquer que les journaux sont écrits plus souvent pendant la guerre qu’avant ou après. Malgré les circonstances extrêmes, malgré le risque associé à cette pratique, les difficultés liées à la disponibilité du matériel d’écriture, des journaux sont écrits dans les villes sous l’occupation, dans les ghettos, les camps de prisonniers de guerre, les camps de concentration et les camps d’extermination, même sur la ligne de front… et souvent, par des auteurs qui n’avaient pas cette habitude auparavant.

Dans son ouvrage Text in the Face of Destruction. Accounts from the Warsaw Ghetto Reconsidered, Jacek Leociak parle d’un véritable « phénomène de l’écriture » qui témoigne du caractère particulier de l’expérience juive du ghetto par rapport à ce qui se passait au-delà des murs. Emmanuel Ringelblum note dans sa Chronique du ghetto de Varsovie :

Voici que le Juif s’est mis à écrire. Tout le monde écrivait : journalistes et écrivains, cela va de soi, mais aussi les instituteurs, les travailleurs sociaux, les jeunes, et même les enfants. Pour la majeure partie il s’agissait de journaux dans lesquels les événements tragiques de cette époque se trouvaient saisis à travers les prismes de l’expérience vécue personnelle. Ces écrits étaient innombrables, mais la plus grande partie fut détruite lors de l’extermination des Juifs de Varsovie. Il ne reste que les documents conservés aux Archives du Ghetto. (Ringelblum, 1983, p. 471 ; Poliakov, p. 21 ; Leociak, p. 28)

 Les journaux de guerre et, avant tout, les journaux juifs écrits au temps de la Shoah prennent une importance particulière pour leurs auteurs. Non seulement les notes y sont plus régulières, mais leur conservation exige plus de soin. Berel Lang mentionne deux critères qui « distinguent les journaux de l’époque du génocide nazi des autres » : « le sentiment d’imprévisibilité et d’incertitude lié aux événements décrits » et « le soin de l’auteur pour sauvegarder son journal » (Lang, p. 143). L’écriture du journal devient un acte existentiel. Entre la vie au sens social et éthique, et le journal, une relation durable s’établit. Entre la vie au sens biologique et le journal, il existe également une relation, un lien : l’écriture permet de sublimer ou de refouler la faim, la douleur, la souffrance physique.

© Philippe Mesnard

À l’origine des journaux juifs du temps de guerre on peut trouver deux types de motivations : individuelles, telles que vouloir écrire (enregistrer) et fixer le présent, rechercher sa place dans le monde ; renforcer la conscience de soi et approfondir sa vie spirituelle, procéder à une sorte d’auto-thérapie etc. ; et sociales, collectives. Dans Text in the Face of Destruction, Jacek Leociak, analysant des récits personnels du ghetto de Varsovie qui ont le plus souvent la forme de journal, précise qu’ils ont été rédigés pour « “décrire toute cette horreur” (Mary Berg), pour témoigner du meurtre et de la violence, pour alarmer et secouer la conscience du monde », et enfin pour produire un document pouvant servir de preuve à charge devant un Tribunal après la guerre (Leociak, p. 77-104).

Les notes du Journal varsovien de Chaim Kaplan illustrent ces différentes motivations qui conduisent à l’écriture d’un journal, existentielle, sociale, historique, pragmatique :

Certains de mes amis qui connaissent le secret de mon journal essaient désespérément de me persuader d’arrêter de l’écrire. « Pourquoi ? Dans quel but ? Vivras-tu jusqu’au jour de sa parution ? Ton message, arrivera-t-il aux générations futures ? Comment ? Si tu te fais déporter, tu ne pourras pas le prendre avec toi, les nazis surveilleront chacun de tes gestes. Même si tu arrives à cacher ce journal, avant de quitter Varsovie, tu périras, toi, d’épuisement, l’épée nazie te donnera la mort. Car aucun déporté ne survivra à la guerre ». Et pourtant je ne les écoute pas. Je sens qu’écrire ce journal jusqu’au bout de mes forces physiques et mentales est ma mission historique à laquelle je ne saurais renoncer. Mon esprit est toujours clair, mon besoin d’écrire reste inassouvi même si cela fait cinq jours que je n’ai pas eu de vraie nourriture dans ma bouche. Je n’arrêterai donc pas d’écrire. (Kaplan, p. 383-384 ; cité par Rosenfeld, p. 44)

L’aspect performatif est une caractéristique générale des journaux, mais son rôle augmente pendant la guerre. Cette performativité est orientée, d’une part, vers autrui et le futur (alarmer, secouer les consciences, contribuer à punir les criminels) et, d’autre part, sur soi-même et le présent. La seconde fonction vise à discipliner, ordonner, aider à survivre ou à rompre avec la peur, le chaos, le quotidien en contexte de guerre ; elle a, de surcroît, une conséquence thérapeutique permettant de surmonter l’apathie, le découragement, le dégoût de la vie.

DES CAHIERS D’ÉCOLIER POUR L’APPRENTISSAGE DE LA BARBARIE

L’aspect matériel des journaux de Juifs polonais tenus pendant la guerre, renvoie simultanément au quotidien et au non quotidien, à l’ordinaire et à l’extraordinaire, à l’humain et à l’inhumain, et ce à partir de quatre éléments au moins : outil de l’écriture, support, graphisme (ou caractères), structure matérielle. Ces éléments sont bien sûr étroitement liés à la situation de l’auteur (cache, embuscade, emprisonnement, fuite, migration forcée, lutte, etc.).

Ces clichés ont été réalisés aux archives du Musée d’Auschwitz à partir d’une photo de la gourde dans laquelle ont été retrouvés deux des manuscrits rédigés par Zalmen Gradowski, Sonderkommando à Auschwitz. © Philippe Mesnard

En ce qui concerne l’outil de l’écriture, je voudrais donner un exemple extrême, celui de notes anonymes écrites par un Juif qui s’est caché pendant un certain temps, au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans un trou étroit creusé dans la terre et recouvert de branches, sur un îlot fluvial, probablement dans les environs de Sandomierz au sud de Pologne. La plume qui a servi à rédiger ces notes a été faite avec un ongle d’orteil.

C’est un hasard qui m’a fait saisir la plume. Après une de mes escapades, par une nuit sombre, j’ai dû faire trois kilomètres pieds nus. La route passait par des prairies, dans la neige, la glace et l’eau. Il faisait un froid terrible. Mes orteils gelaient. En plus je me suis cogné un orteil du pied droit. Quelques semaines se sont écoulées depuis. L’ongle de l’orteil s’est détaché complètement. L’idée m’est venue d’en faire une « plume ». C’était pour moi le plus important. J’ai découpé l’ongle en trois parties et j’ai fait ma première plume. Je l’ai fixé sur un manche à balai, c’était le plus facile, et l’encre, je l’ai fabriquée à partir de ce qui reste du crayon. L’encrier c’est la moitié d’une boîte. (Anonyme, p. 169)

La spécificité des journaux de guerre apparaît visiblement à travers leurs supports et leur présentation, leur forme matérielle. Le difficile accès aux supports habituels (brouillons, cahiers, blocs-notes, agendas ou feuilles détachées) fait que s’y substituent d’autres supports d’écriture ou d’impression, parfois des matériaux très variés qui, normalement, n’ont pas cet usage. Les auteurs du ghetto de Varsovie, étudiés dans Text in the Face of Destruction de Jacek Leociak, écrivent sur « presque tout ce qui pouvait garder la trace des lettres » (Leociak, p. 68). Ils se servent en général de supports utilitaires : emballages, étiquettes, formulaires… L’auteur cite les exemples suivants :

Abraham Kajzer, tisserand du ghetto de Łódź, écrivait sur les bandes de papier gris et épais, des sacs de ciment récupérés. […] Gustawa Dränger, militante de l’OJC [Organisation juive de combat] à Cracovie, écrivit en prison, pendant l’enquête, sur du papier de toilette et toute sorte de lambeaux de papier. […] Emanuel Ringelblum avait rédigé une partie de ses notes sur le revers d’étiquettes du vin « Wermut-Santoza », sur du papier usagé d’un cabinet médical et des formulaires comptables (par exemple, une « liste des lettres de change émises ». (Ibid., p. 69)

La rencontre de l’ordinaire et de l’extraordinaire en ce qui concerne le support (ou la combinaison support/texte) ainsi que le graphisme, caractère d’écriture, peut être illustrée à partir de journaux d’enfants juifs.

Les enfants ou les adolescents utilisent souvent – comme je l’ai déjà dit – les cahiers scolaires. L’exemple le plus touchant est le journal de David Rubinowicz. Ne pouvant pas poursuivre son éducation scolaire pendant la guerre, il prenait des notes dans ses cahiers lignés à couverture gris orangé. Le premier est encore libellé : « Langue polonaise. Rubinowicz Mania [une des sœurs   de David]. Année scolaire 1940/1941 » (Rubinowicz). Ces cahiers utilisés normalement pour l’apprentissage des comportements sociaux et culturels élémentaires servent ici aux enfants pour apprendre à ne pas se laisser envahir par la violence, la barbarie, la terreur. Justyna Kowalska-Leder, dans son livre sur l’expérience de la Shoah vue à travers les documents personnels des enfants, souligne qu’en « notant les événements qui le concernent, David essayait d’objectiver ses craintes, avoir une sorte de pouvoir sur elles […]. Tenir un journal pendant la guerre et la Shoah a été pour David et pour beaucoup d’enfants un des rares moyens de faire face à la peur et au sentiment de solitude » (Kowalska-Leder, 2009, p. 131). Un cas assez similaire est celui de Renia Knoll, déjà mentionné, cette enfant juive de treize ans du ghetto de Cracovie qui, elle aussi, écrit son journal dans un cahier d’école : des lettres rondes et régulières et des dessins décrivent une vie de jeunesse très normalisée, mais cette vie, peu à peu, se recouvre de l’ombre de la terreur.

Une autre caractéristique matérielle visible des journaux de guerre s’exprime par leurs déchirures, leurs cassures, leurs détériorations. Cela peut concerner l’ensemble du journal ou quelques feuilles. Par exemple, Leon Guz qui se cache dans un appartement à Varsovie hors du ghetto déchire à un moment plusieurs dizaines de pages par crainte que, saisi par les Allemands, son journal puisse révéler le refuge de sa fille. Plus souvent, la discontinuité du journal résulte des pertes ou des détériorations liées à la guerre. Dans des cas extrêmes, il arrive que le journal ne soit pas conservé sous sa forme matérielle : Ringelblum en cite plusieurs dans sa Chronique du ghetto de Varsovie.

En conclusion, je voudrais mentionner les documents personnels enfouis dans les camps de concentration, dans les trous recueillant les cadavres ou les cendres des fours crématoires dont le contact modifie la consistance du papier. Zalmen Gradowski, un des membres du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau – prisonniers utilisés pour des travaux dans les chambres à gaz et les fours crématoires –, écrit dans une lettre accompagnant ses notes :

 J’ai voulu laisser cet écrit, et beaucoup d’autres notes, en souvenir pour le futur monde de paix, que l’on sache ce qui s’est passé ici. Je l’avais enterré dans les cendres, pensant que c’était l’endroit le plus sûr, où on irait sûrement creuser pour trouver les traces de millions d’êtres humains exterminés. […] Ce carnet de notes, ainsi que d’autres écrits, étaient enfouis dans ces fosses saturées de sang, de chairs et d’ossements pas toujours complètement brûlés. On pouvait le sentir à l’odeur.

Cher découvreur, cherche partout, sur chaque coin de terre. Dessous, sont enterrés des dizaines de documents, les miens et ceux d’autres personnes, qui jettent la lumière sur tout ce qui s’est passé ici. (Gradowski, p. 90-91). ❚

1 Dans cet article j’ai utilisé quelques fragments d’un article déjà publié (Rodak).

2 L’édition critique des Archives de Ringelblum en Pologne comporte à ce jour 35 volumes. Cf. http://www.jhi.pl/en/ringelblum-archive/book-series-rigelblumarchive (07/11/2020). Voir aussi Shapiro & Eptsztein.

 

ŒUVRES  CITÉES

Anonyme, 1978, « Pisane paznokciem » [Écrit avec un ongle], in Pod wspólnym niebem. Tematy polsko-żydowskie [Sous le ciel commun. Thèmes polono-juifs], pr.face de Szymon Datner, postface de Anna Kamieńska, Więź [Lien], n°4.

Gradowski, Zalmen, 2013, Écrits I et II. Témoignage d’un Sonderkommando d’Auschwitz [1942-1944 ; première édition 2001], traduit du yiddish par Batia Baum, édition dirigée par Philippe Mesnard, Paris, Kimé.

Kaplan, Chaim A., 1973, The Warsaw Diary of Chaim A. Kaplan [1940], édité par Abraham I. Katsh, New York, Collier Books.

Kassow, Samuel D., 2011, Qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie [2007], traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Grasset.

Kowalska-Leder, Justyna, 2009, Doświadczenie Zagłady z perspektywy dziecka w polskiej literaturze dokumentu osobistego [L’expérience de l’extermination du point de vue des enfants dans la littérature documentaire personnelle polonaise], Wrocław, Université de Wrocław. Traduction anglaise : Kowalska-Leder, Justyna, 2015, Their Childhood and the Holocaust. A Child’s Perspective in Polish Documentary and Autobiographical Literature, traduit du polonais par Richard Reisner, Bern, Peter Lang.

Kowalska-Leder, Justyna, 2012, « Nota edytorska » [Note de l’éditeur], in Renia Knoll, Dziennik [Journal, 1940-1941], préfacé et édité par J. Kowalska-Leder, Varsovie, Zydowski Instytut Historyczny.

Lang, Berel, 2006, Nazistowskie ludobójstwo. Akt i idea [Act and Idea in the Nazi Genocide, Chicago, University of Chicago Press, 1990], traduit de l’anglais par Anna Ziębińska-Witek, Lublin, Uniwersytetu Marii Curie-Sklodowskiej.

Leociak, Jacek, 2004, Text in the Face of Destruction. Accounts from the Warsaw Ghetto Reconsidered, traduit du polonais par Emma Harris, Varsovie, Żydowski Instytut Historyczny.

Maryla, 2008, Patrzyłam na usta… Dziennik z warszawskiego getta [Je regardais sa bouche… Un journal du ghetto de Varsovie, 1943], édité et introduit par Piotr Weiser, Cracovie & Lublin, Homini / Państwowe Muzeum na Majdanku.

Poliakov, Léon, 1978, « Préface », in Emanuel Ringelblum, Chronique du ghetto de Varsovie [1958], traduit de l’anglais par Léon Poliakov à partir d’une adaptation, Paris, Robert Laffont.

Ringelblum, Emanuel, 1983, Kronika getta warszawskiego: wrzesień 1939-styczeń 1943 [Chronique du ghetto de Varsovie : septembre 1939-janvier 1943], sous la direction d’Artur Eisenbach, traduit du yiddish par Adam Rutkowski, Varsovie, Czytelnik.

Ringelblum, Emanuel, 2017, Oneg Shabbat. Journal du ghetto de Varsovie, traduit du yiddish par Nathan Weinstock et Isabelle Rozenbaumas, Paris, Calmann-Levy.

Rodak, Paweł, 2008, « La guerre et l’écriture. Sur les journaux de la IIe Guerre mondiale », Kwartalnik Neofilologiczny [Revue trimestrielle de la nouvelle philologie], n°4.

Rosenfeld, Alvin H., 1988, A Double Dying. Reflections on Holocaust Literature, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press.

Rubinowicz, Dawid, 1960, Journal d’un enfant juif [1940-1942], postface de Maria Jarochowska, notes et commentaires d’Adam Rutkowski, traduit du polonais par Georges Lisowski, Paris, Robert Laffont. Édition polonaise : Pamiętnik Dawida Rubinowicza [Journal intime de Dawid Rubinowicz], 1960, préface de Jarosław Iwaszkiewicz, Varsovie, Książka i Wiedza [avec photos de couvertures des cahiers et quelques pages manuscrites de Rubinowicz].

Shapiro, Robert Moses & Epsztein, Tadeusz, 2009, The Warsaw Ghetto Oyneg Shabes–Ringelblum Archive. Catalog and Guide, traduit du polonais par Robert Moses Shapiro, introduction par Samuel D. Kassow, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press. Cf.

http://www.jhi.pl/uploads/attachment/file/1318/The_Warsaw_Ghetto_Oyneg_Shabes_Ringelblum_Archive_CATAlOG_And_Guide.pdf (07/11/2020).