Les massacres de masse du 7 octobre 2023 et leurs suites désastreuses à Gaza et en Cisjordanie sont à la fois un événement sans précédent et l’aboutissement du délitement des possibilités de résolution du conflit israélo-palestinien. S’il a été vécu comme un choc immense, dû à la radicalité de sa violence, le 7-octobre ne peut être réduit à une rupture ou à une césure. Il a été le révélateur et l’amplificateur de positionnements et de discours radicaux antisémites, islamophobes, xénophobes et identitaires qui, sans pour autant se cacher, se signalaient jusque-là avec moins d’assurance et de véhémence, de façon plus disséminée. En cela, au-delà des événements, au-delà des actes et des contextes, c’est toute la question de l’accroissement de la violence dans le monde que l’on vit et de notre capacité à la contenir et à la rationaliser qui s’impose. Il faut en tirer et les conséquences et, par provision, les leçons.
On peut craindre un renforcement des antagonismes politiques et une amplification de la brutalisation de nos sociétés passant par de multiples modalités, autant actes de langage qu’atteintes physiques. Il n’est qu’à voir la multiplication des graffitis haineux aux lendemains du 7-octobre et des crimes ou délits commis sur des personnes pour ce qu’elles sont : Juifs, Arabes, « étrangères » ; ce qui, en corollaire, constitue autant de dégradations – y compris dans ses réponses sécuritaires – des valeurs nécessaires à un monde commun démocratique.
Sans en être le déclencheur ni la cause, le 7-octobre et ses suites sont – bien plus que les attentats de grandes ampleurs qui ont précédé – des révélateurs exemplaires de cette reconfiguration qui caractérise notre actuelle modernité. Révélateur au sens où il rend visible ce qui, auparavant, existait de façon sporadique et moins prégnante ; révélateur aussi en ce que l’on peut s’en ressaisir pour une prise de conscience critique des enjeux aux carrefours desquels nous évoluons ou involuons. Révélateur aussi sur le plan de la recherche. S’il n’est pas nouveau que le rapport à la connaissance soit exposé aux stratégies de positionnement d’ego et aux cloisonnements disciplinaires, le moment que l’on traverse est aussi celui de débats faussés dans lesquels le « campisme » incite à se fourvoyer. Il reste à forcer sans concession ces blocages pour ouvrir de nouvelles voies à la compréhension avec des ponts entre savoir académique, pédagogie et société tout en entretenant la pluralité des voix qui est un des enjeux cruciaux de la mémoire – telle que nous y œuvrons.
En effet, si Mémoires en jeu se trouve tellement concernée jusqu’à produire ici un hors-série, c’est que les questions de mémoire et la nécessité qu’elles soient traitées avec une distance critique et équitable sont à de multiples niveaux concernées par le 7-octobre et ses suites.